Y’a plus de saison ma bonne dame !
Il m’est arrivé, trop souvent, de m’en être voulu de n’avoir pas, par flemme, emporté dans ma valise une paire de pompes de course à pied.
Ce fut encore le cas pas plus tard qu’il n’y a pas si longtemps que ça, lors de mon récent passage chez nos voisins Belges. Je garde notamment un souvenir mitigé de la matinée passée à glander dans une chambre d’hôtel de la banlieue de Bruxelles alors que, de mon balcon, je pouvais voir l’entrée du parc du Wolvendael et ses 18 hectares de verdure qui me tendaient leurs branches. C’est ainsi qu’il y a un dizaine de jours, au moment de partir finir l’année dans le massif des Vosges, j’ai glissé, sans trop y croire, mes pompes de trail et un collant dans mon paquetage. Bien m’en a pris.
Tout avait pourtant commencé normalement. Début décembre, un petit passage sur le site internet de la station du Lac-Blanc m’avait confirmé que la saison était partie sur des chapeaux de roue. La totalité des pistes de ski de cette sympathique petite station étaient alors ouvertes mais lorsque nous débarquons au Bonhomme, trois semaines plus tard, tout à fondu. Il ne reste plus que quelques pistes vertes enneigées artificiellement, une piste de luge à moitié décatie et nos yeux pour pleurer.
Conscient du fait que je n’aurais pas ma dose de sports d’hiver, je décide de me lever une heure avant tout le monde et d’aller faire un tour, pour voir, si y’aurais pas moyen de trouver un petit sentier pour me dégourdir les papates. Hé ben figurez-vous que des sentiers, au Bonhomme y’en a. Plein. À ne plus savoir ou mettre ses pieds. Et c’était tellement bien que j’ai décidé de vous raconter.
Jour 1 : Château de Gutenbourg
Je quitte le chalet aux premières lueurs du jour et me dirige vers le centre du minuscule village du Bonhomme. La première personne – la seule d’ailleurs – que je croise, m’indique le chemin du château, curiosité locale datant du 12e siècle et dont il ne subsiste que quelques briques. Ça grimpe très fort et je me retrouve face à un entrelacement de chemins, balisés dans tous les sens, avec des flèches indiquant toutes sortes de directions.
Le temps de me perdre 20 fois et de comprendre comment tout cela fonctionne et me voila totalement rincé. Il pleut, il vente, il caille, un vrai temps de novembre sur une montagne sans neige. Déprimant. En une heure, j’ai parcouru moins de six kilomètres mais encaissé près de 350 mètres de dénivelé.
En rentrant au chalet, un peu dépité il faut bien l’admettre, je tombe nez à nez avec la carte IGN du coin et en plongeant dedans, je découvre que je me trouve en fait à quelques mètres du point de départ d’un nombre incalculable de possibilités de balades et au croisement, excusez du peu, de deux GR.
Jour 2 : Circuit du village
Je décide donc de partir à la recherche du GR5 mais je ne suis pas un randonneur très aguerri et mon sens de l’orientation étant ce qu’il est, je me perds à nouveau à plusieurs reprises avant de me décider à suivre les marquages du circuit du village. Ce circuit est bien calibré pour une balade familiale mais il est bien trop court pour une sortie rapide en rando-course et j’emballe le tout en quelques dizaines de minutes qui me laissent clairement un gout de trop peu. Je décide donc de repartir pour un tour en tentant un autre sentier. Je rate à nouveau le départ du GR qui était pourtant sous mon nez et je me retrouve dans une propriété privée. Après une grosse montée bien cassante dans les ronces, je suis accueilli par un chien un peu nerveux et je détale dans le sens inverse sans demander mon reste. Là, c’est bon, j’ai ma dose et j’écourte donc la balade après seulement 50 minutes. Aussitôt rentré, je me replonge dans la carte pour essayer de comprendre comment marche ce truc et essayer de me repérer un petit itinéraire sympa pour le lendemain.
Jour 3 : Le col des Bagenelles
Pour une fois, je ne décolle pas au lever du jour, lendemain de réveillon oblige. C’est donc sous un soleil radieux que je me dirige à nouveau vers le départ supposé du GR5. Je m’engage sur le seul chemin que je n’ai pas encore testé et qui s’avère être, enfin, celui que je cherchais.
Me voila donc sur le GR5 qui relie la mer du Nord à la mer Méditerranée et que je ne vais humblement emprunter que sur cinq petits kilomètres pour rejoindre le col des Bagenelles située 300 mètres plus haut à 904 mètres d’altitude. La montée est très agréable, en pleine forêt avec cependant quelques montées un peu rudes et surtout quelques petits passages sur la route qui serpente vers le col.
Je boucle l’aller-retour en moins d’une heure en prenant le temps de contempler le panorama qui est magnifique malgré l’absence de feuilles aux arbres et de neige sur les crêtes. J’avale la descente bien plus vite que prévu et je m’offre donc un petit peu de rabe en refaisant un petit passage par le sentier du château – que je commence à connaître par cœur – puis je rentre au bercail avec 350 mètres de D+ au compteur, 1h10 de balade dans les pates et une furieuse envie d’y retourner dès que possible tellement c’est chouette de courir dans la montagne.
Jour 4 : Le lac du Devin
Je délaisse pour la première fois le Brezouard pour aller du côté de la Tête des Faux. Je prends donc le GR dans l’autre sens en direction du Lac Blanc. Après avoir un peu jardiné, je trouve le départ du GR qui se trouve derrière l’école et qui s’avérera par la suite être parfaitement balisé. Même un très mauvais orienteur dans mon genre arrive à trouver son chemin du quasi premier coup. Il a un petit peu neigé cette nuit et je croise mes premières plaques de neige qui rendent la balade encore plus sympa. J’atteins le lac du Devin en un clin d’œil et m’attarde un peu devant le spectacle de ce lac gelé. J’hésite à continuer, je n’ai pas un gramme de matériel, même pas mon téléphone et personne ne sait par où je suis parti. Bien que le chemin soit ultra battu, ça n’est pas très raisonnable et je rebrousse donc chemin et dévale les 370 mètres de dénivelé négatif en un clin d’œil pour boucler l’ensemble en 1h15, bien décidé à revenir plus tard avec un appareil l photo.
Jour 5 : Le grand Brezouard
Je décide de tenter d’atteindre le point culminant de ce massif, la Grande Roche, qui se trouve à environ 1200 mètres d’altitude. Comme je souhaite courir tous les jours, je m’impose de me limiter à 1h30 par sortie pour rester suffisamment frais pour le reste de la journée, ce qui limite beaucoup mes itinéraires. Je grimpe donc en voiture au col des Bagenelles avec pour objectif d’aller le plus loin possible mais de rebrousser chemin au bout de 50 minutes quoi qu’il arrive. Cette sortie est de loin la plus belle. La montée est relativement facile et l’inclinaison très raisonnable. À cette altitude la neige est là et bien là. Les paysages sont tout à fait sublimes et le spectacle du lever du soleil derrière la montagne est saisissant.
J’arrive assez rapidement au Carrefour du Haycot mais je perds un temps précieux à chercher mon chemin. Je fais plusieurs détours avant de m’apercevoir que je ne suis pas sur la bonne voie et quand je trouve enfin le chemin qui mène à la Grande Roche, je sais déjà que je ne parviendrai pas à l’atteindre dans les temps. Je pousse jusqu’au lieu dit « l’abri ». J’hésite à continuer, j’ai encore un peu de temps et je suis en forme mais je ne trouve pas la bifurcation et je n’ai, comme d’habitude, pas de carte sur moi pour vérifier. Je fais demi-tour la mort dans l’âme et avale la descente en une petite vingtaine de minutes pour boucler la balade en moins d’1h10, heureux de m’être autant amusé mais un peu dépité par ma frilosité et bien décidé à aller au bout la prochaine fois.
Jour 6 : Le grand Brezouard par le GR 532
Je décide d’attaquer par l’autre GR. Cette fois, j’ai prévenu de mon itinéraire, pris mon téléphone avec moi et bien repéré le chemin. La première partie du GR est déprimante. Il s’agit en fait d’une route bitumée qui grimpe très fort et qui n’est pas du tout agréable, surtout avec des chaussures de trail. Le dénivelé est très important car cette fois je pars du village qui se trouve à seulement 678 mètres et non du col des Bagenelles comme la veille. Je commence à être bien à l’aise avec les marquages et j’ai la carte bien en tête à force d’y passer mes soirées à préparer les itinéraires.
J’avale donc les cinq kilomètres de montée sans jamais hésiter mais les côtes sont très éprouvantes et je m’impose un rythme fatigant pour être sûr d’avoir le temps d’atteindre mon objectif. J’atteins le lieu-dit « le plat » (1025 mètres) au bout de 40 minutes mais j’en ai perdu presque 10 à atteindre l’entrée du GR qui est à l’autre bout du village et je commence à être vraiment ric et rac. Sans doute un peu plus fatigué que je n’aimerais le croire, je manque de lucidité et m’engage sur la mauvaise route, suivant bêtement le GR au lieu de bifurquer sur le chemin de la Grande Roche. Lorsque je m’aperçois de mon erreur, cela fait presque une heure que je suis parti et je décide donc de renoncer une nouvelle fois mais sans réels regrets.
Il faut dire que les chemins commencent à être glissants et donc un peu dangereux pour un trailleur inexpérimenté et, contrairement à hier, la visibilité est très mauvaise, la brume obstruant totalement la vue. Pas grand intérêt donc, à vouloir aller jusqu’au bout coûte que coûte. Le retour, plus long et plus difficile que prévu, me confirme que j’ai fait le bon choix car je mets une bonne demi-heure à redescendre, dont dix minutes assez pénibles à cause des impacts sur le bitume. Je regagne mes peinâtes après une promenade d’un peu plus de 10 kilomètres et surtout 450 mètres de dénivelé que j’ai, cette fois, bien sentis passer.
Jour 7 : La Roche du Corbeau
Dernier jour déjà, ce soir je reprends la route et pour finir en beauté, j’hésite entre une énième tentative de grimpette vers le sommet de la Grande Roche et un départ sur l’autre massif, vers la Tête des Faux. Le brouillard ne s’étant pas dissipé, j’estime qu’il est préférable de me rabattre sur la seconde option puisque le paysage sera de toute façon totalement obstrué. J’attaque donc le GR5 bien décidé à ne pas trainer car j’estime en avoir pour un peu plus d’une heure pour atteindre la Tête des Faux. J’arrive au lac du Devin en à peine 20 minutes et le spectacle, quoique plus éthéré que la fois d’avant reste très réjouissant.
Je trouve sans problème le chemin qui grimpe vers le sommet et rentre aussitôt dans le vif du sujet. Le chemin est abrupte et courir y est impensable, marcher vite étant déjà épuisant. J’arrive à un croisement qui, chose rare, n’est pas du tout balisé. J’opte un peu au hasard pour le chemin le plus à pic qui s’avère être le bon, mais arrivé aux alentours de 1000 mètres, des plaques de verglas rendent ma progression difficile. Je croise les vestiges de constructions allemandes qui rappellent l’histoire tristement célèbre de cette montagne et après 50 minutes de course, je me retrouve quasiment bloqué par la neige. J’hésite à continuer, le chemin est franchement scabreux mais j’estime que la Roche du Corbeau doit être vraiment toute proche et je décide donc de continuer, très prudemment, un pas après l’autre.
Je l’atteins en effet quelques minutes plus tard, ravi d’être arrivé jusque là. Le chemin vers le sommet est décrit dans les blogs comme étant très abrupt et je décide donc d’en rester là et de repartir en sens inverse. La descente est éprouvante car très à pic et plutôt glissante. Les conditions climatiques se sont dégradées ces derniers jours et la balade est bien plus physique que je ne le pensais, d’autant que les sorties des 6 derniers jours ont nécessairement laissé des traces dans mon organisme. Cette dernière escapade me permet néanmoins d’ajouter neuf petits kilomètres au compteur et surtout un peu plus de 460 mètres de D+ qui expliquent l’heure 37 qu’il m’a fallu pour boucler cette sortie.
La montagne, ça vous gagne ?
Je comprends désormais pourquoi des types que je pensais être des fadas achevés partent pour des courses de 40, 50 ou même 100 kilomètres à travers la montagne. J’ai pour la première fois, depuis que je me suis mis à courir, ressenti l’envie d’aller plus loin, encore un peu plus loin, juste pour aller voir si là-haut c’est plus joli et si de là-bas on voit mieux la montagne. Me voila au passage réconcilié avec elle, avec qui j’étais un peu fâché depuis mon dernier séjour alpin.
Enfin, et c’est surtout pour ça que j’ai écrit ce long billet, ces escapades en solitaire m’on rappelé que je n’aimais plus autant qu’avant être seul. J’ai manqué de l’œil toujours aiguisé de mon alter égo que je ne parviens toujours pas à convaincre de m’accompagner dans mes escapades sportives. J’ai eu 100 fois envie de dire à quelqu’un : « regarde comme c’est beau ! ». J’ai pensé souvent aussi, à toutes les vannes pourries qu’auraient pu faire Tom en me voyant galérer avec ma carte IGN et j’ai pensé à Laurent et ses randos dans la neige dont il parle avec des lumières dans les yeux.
Et puis pendant ces heures passées à chercher mon chemin, je n’ai pas pensé à tout ce qui me prend un peu la tête en ce moment et ce fut d’autant plus précieux que le retour à ma trépidante vie parisienne a été aussi violent que ces escapades ont été calmes et silencieuses. Le calme avant la tempête en quelque sorte, mais ça, c’est encore une autre histoire 😉