Balade dans les cailloux à l’extrême sud de la France
Organiser une saison de course à pied à peu près cohérente, lorsque l’on est fan de trail et que l’on habite dans la région la plus urbanisée et la moins « nature » de France relève parfois du casse tête. Les inscriptions sur les plus belles courses se font souvent des mois à l’avance et les trails franciliens sont globalement décevants. Se lever à 5h du matin pour aller courir 15 bornes sous la pluie dans la forêt de Senlis a son charme mais mes rêves sont ailleurs. Plus de craie que de fougère, plus de caillou que de mousse humide. La vallée de Chevreuse a des atouts, mais à choisir, je prendrais plutôt le Mont-Blanc.
J’ai également, comme la plupart des coureurs, des distances de course de prédilection. Trop court et ça ne vaut pas le coup de se déplacer. Trop long et la course peut virer au cauchemar et nécessiter une récupération longue et pénible.
La plupart du temps, ça ne se goupille pas comme je voudrais. Il y a par exemple cette course a priori formidable qui est organisée chaque année sur le sentier des douaniers qui longe la côte ouest de la presqu’île du Cotentin que je connais comme ma poche pour l’avoir arpenté de long, en large et en travers et qui a lieu généralement le seul week-end de l’année où il m’est impossible de me rendre en Normandie.
Tiens, t’as vu ? y’a un trail dimanche !
Compte tenu de ces éléments, quelles sont les probabilités pour qu’à peine arrivé sur l’île de beauté, mon regard soit attiré par une affiche publicitaire annonçant un trail le long des falaises de calcaire de Bonifacio, se courant trois jours plus tard, au beau milieu de ma semaine de vacances, à moins de trente kilomètres de mon lieu de villégiature ? Aucune ! Tout cela est bien trop beau pour être vrai. De retour à la casa, je lance la recherche sans trop y croire m’attendant à apprendre qu’il s’agit d’un truc dément de 80 km réservé à quelques ultras locaux. Que nenni, non seulement il ne s’agit pas d’un petit trail confidentiel mais d’une course très courue qui attire de nombreux clubs insulaires, mais cette virée au paradis se court sur une distance de 13 kilomètres, soit juste ce qu’il faut pour mon bonheur. Avec un peu plus de 400 mètres de dénivelé, c’est une course assez éprouvante que je pense pouvoir boucler en 1h45 si je suis en jambe. Et comme j’ai, par un heureux hasard, trimbalé tout mon barda pour le cas où que des fois que ; que la météo prévoit un temps estival et qu’il est encore possible de s’inscrire, je n’hésite pas plus d’une demi-seconde et quelques clics plus tard, me voila inscrit à la dixième édition du trail des falaises. Top !
Falaises vs parking du Auchan
Côté paysage, le moins qu’on puisse dire c’est que ça va me faire un petit contraste avec ma précédente course. Les 20 km de Paris ? courus il y a deux semaines à l’arrache avec, à la clé, et malgré une méforme historique, un nouveau record sur la distance ? Pas du tout ! Entre temps, je me suis fait embarquer dimanche dernier sur un 10 km franchement sinistre (quoique très bien organisé), traversant les cités de Fontenay-sous-Bois sur un parcours merdique au possible que j’ai péniblement bouclé en près de 55 minutes sous un ciel maussade. Par contre j’y suis allé pour accompagner un pote et on s’est franchement bien marré alors que là, des potes Corses qui courent le trail, j’en ai pas. On ne peut pas tout avoir.
Je prends donc le départ seul, avec comme unique objectif de me régaler les yeux et d’arriver suffisamment en forme pour que la suite de mes vacances ne soit pas impactée par cette petite virée champêtre. Placé, comme il se doit, en queue de peloton, j’attends patiemment le coup de pistolet libérateur. Au lieu de cela, les organisateurs nous font jouer à un jeu très rigolo qui s’appelle « déplace toi avec le peloton de gauche à droite » car le départ se fera finalement sur la route, « non pas cette route là, l’autre » pour cause de trop grande affluence. Il y a même des coureurs sur liste d’attente car les 500 dossards ont visiblement tous trouvé preneur.
Plein les yeux, plein les bottes
C’est parti, les premiers filent comme le vent mais la queue de peloton est d’une lenteur assez sidérante et alors que je m’étais placé là pour ne gêner personne, je me retrouve à faire du petit trot à peine plus rapide qu’un footing d’échauffement. Au bout de quelques minutes j’ai enfin le champ libre et j’accélère pour me caler sur la seule allure que je maîtrise à peu près en ce moment à savoir l’allure semi-marathon qui pour moi correspond à un peu moins de 11 km/h. J’attaque la première côte, bien raide, bien déprimante, qui monte à la citadelle et double une bonne cinquantaine de coureurs prudents qui marchent déjà. Nous nous baladons quelques minutes dans la vieille ville, magnifique, puis après être passés sous la célèbre porte de Gènes, nous dévalons à tout berzingue sur les pavés avant de commencer la grimpette vers le chemin de ronde. Jusqu’ici, ça va !
Nous attaquons une longue montée dans un chemin de terre forestier ombragé avant de passer aux choses sérieuses et de se retrouver sur le chemin des douaniers, bien alignés à la queue-leu-leu sans possibilité de faire quoi que se soit d’autre que de suivre celui qui est devant, qui suit lui-même celui qui le précède. Ce faux rythme imposé sur un terrain très accidenté est un véritable casse-pattes. Alors que je parviens enfin à doubler deux trois coureurs, je me retrouve à l’arrêt complet en haut d’une descente. Il y a un énorme embouteillage. Je compte une cinquantaine de coureurs bloqués les uns derrières les autres. Pas à pas, nous parvenons à finalement à avancer mais cette petite pause improvisée en plein cagnard nous fait perdre cinq bonnes minutes.
Je peux enfin recourir, j’ai parcouru moins de trois kilomètres en près de 25 minutes et je suis dégoulinant de sueur. Après une succession de montées et de descentes, nous arrivons au sémaphore de Pertusato où nous attend le premier ravitaillement salvateur. Je me verse deux verres d’eau sur le cou et la tête, en boit deux autres et reprends la course.
Nous attaquons alors une boucle d’environ cinq kilomètres très éprouvants. Ça monte et ça descend sans cesse jusqu’à ce qu’à nouveau nous nous retrouvions totalement bloqués. La descente est très raide et ne peut se faire que de deux façons : soit en courant plein gaz, soit en marchant pas à pas mais auquel cas l’équilibre est si précaire que des cordes ont été installées pour permettre de ne pas se casser la binette. La foule imposant la version lente, je descends pas à pas, très prudemment car c’est une véritable patinoire et réussi l’exploit de ne pas tomber une seule fois mais au prix de deux belles glissades avec rattrapage en s’agrippant aux buissons d’épineux. Divin !
C’est donc couvert d’égratignures et d’épines, les chaussures pleines de sable et les cuisses en feu que j’arrive sur une petite crique où un des coureurs à carrément décidé d’aller faire quelques brasses. Ça fait plus qu’envie mais ce qu’on vient de descendre, il faut le remonter et cette montée là est bien fatigante aussi. J’en suis à une bonne heure de course et je commence à être bien rincé. Heureusement, arrivé en haut, le parcours nous fait passer sur un chemin taillé dans la roche d’où le panorama est juste hallucinant. Je ralentis, il n’y a pas d’enjeu et je reste quelques instants à contempler cet endroit magnifique puis repars de plus belle jusqu’ à une nouvelle descente. Et rebelote, ça coince pendant de longues minutes mais arrivés en bas nous courons sur un plateau rocheux autour d’une ancienne grotte désormais effondrée qui forme un immense trou.
C’est spectaculaire et absolument fantastique mais le plaisir est de courte durée car il faut désormais remonter toute la falaise nous ramenant au sémaphore. Nous nous serrons les coudes car c’est vraiment très dur, il fait très chaud et les marches sont excessivement hautes, obligeant à pousser très fort sur les cuisses. J’arrive au ravitaillement complètement exténué. Après avoir bien pris le temps de m’arroser et de boire, je repars en trottant pour essayer de récupérer un peu sans perdre plus de temps.
Nous sommes désormais sur le même chemin qu’à l’aller qui est donc sans surprise : ce que nous avons descendu à l’aller, il va falloir le remonter mais aucune des nouvelles grimpettes ne sera aussi difficile que celle de la falaise. Je commence à avoir des crampes mais je n’ai pas l’intention de m’attarder. Je me cale à nouveau sur mon rythme semi-marathon que je parviendrai à garder jusqu’à la fin, ce qui me permet de limiter la casse au niveau du chrono et de distancer définitivement tous ceux qui étaient derrière moi et même de doubler une dizaine de coureurs visiblement épuisés. J’avale le chemin de ronde assez facilement quoique pas très vite puis traverse Bonifacio avec la sensation d’avoir une fois encore plutôt pas trop mal couru. Je me fais bêtement dépasser par deux petits jeunes que j’avais tenu en respect pendant les trois quarts de la course et me venge en doublant deux sexagénaires à l’agonie sans faire preuve du moindre fair-play, m’autorisant même une petite accélération sur les 200 derniers mètres. Je passe la ligne avec le sourire et dans un état de fraicheur tout à fait acceptable.
Le chrono (1h53 et quelques) ne permettant de tirer aucune conclusion sur ce type de course, c’est la position qui importe le plus. On parle généralement en quart de classement. Bon et correct pour les deux premiers quarts, médiocre et mauvais pour les deux seconds. Avec une 380e place sur 500, je me situe donc, comme d’habitude, à la frontière entre médiocre et mauvais mais en toute sincérité, je suis bien content quand même.
Y’a quoi dimanche prochain ?
© Sauf indications contraires, toutes les photos sont de So
Merci à Nerijp (Cap de Pertusato) et Caputmallei (le trou)