Défi Monte Cristo 2025

L’année dernière, atterré par le fait que c’était déjà la cinquantième que je passais sur cette Terre, je m’étais mis au défi de faire un truc sportif vraiment compliqué et j’avais passé une bonne partie de l’année à préparer un Ironman 70.3 que j’ai bouclé dans la douleur et qui m’a laissé un gout d’inachevé.

Je n’en garde pas beaucoup de bons souvenirs mais contre toute attente, la partie nage s’était révélée totalement jubilatoire. C’était mon premier triathlon en mer. J’en avais une bonne dizaine au compteur, en piscine, en lac, dans des bras de fleuve, des canaux, des chenaux mais jamais en pleine mer. Et là, ce n’était pas n’importe quelle mer, c’était ma mer, la Méditerranée de mon enfance et de mes innombrables plongées. J’avais adoré. La suite fut un long chemin de croix mais au bout des 1,9 km de nage, j’avais la certitude que ça aurait pu durer comme ça beaucoup plus longtemps.

Quelques semaines plus tard, je suis plongé dans l’obscurité d’une salle de cinéma et je vois Pierre Niney sur l’écran se jeter du Château d’If pour rejoindre Marseille. En sortant du cinéma, je repense à cette course en eau libre qui consiste à faire la même chose mais de façon beaucoup plus ludique et sans avoir à sauter du haut de la forteresse. Je connais bien l’endroit pour avoir plongé à plusieurs reprises dans l’archipel du Frioul et j’estime qu’il ne doit pas y avoir beaucoup plus que les 1,9 km que j’ai nagés à Nice ente l’Île d’If et la côte et en effet, en ligne droite, il y a peine plus d’1,4 km jusqu’à la pointe d’Endoume.

Sauf que. Il existe bien des formats courts mais pour avoir le privilège d’être déposé en bateau sur l’Île d’If et de rejoindre Marseille, il faut s’inscrire sur le 5km. Et 5 km en natation, c’est long.

J’évacue l’idée. La dernière fois que j’ai eu une idée à la con comme celle-là, ça s’est fini en petit morceau sur la promenade des Anglais par 35° sans ombre. J’en parle quand même à ma chérie et je sens bien dans son regard qu’elle se demande, tout comme moi, à quel moment je vais enfin arrêter mes conneries.

Septembre. Je me rends à Bois-le-Roi avec mon pote Vincent pour le triathlon qui s’y déroule. En chemin, je lui parle comme ça, sans arrière-pensée, de cette course insensée à l’autre bout de la France et cela provoque une réaction d’adhésion immédiate et sans même avoir pris le temps de vraiment y réfléchir, nous voilà engagés l’un envers l’autre à y participer.

Vincent met une alerte sur son téléphone pour ne pas louper les inscriptions puis je n’y pense plus. Quelques mois plus tard, je reçois un message qui dit en substance « mince, je me suis planté de jour, les inscriptions ouvraient hier ». Le destin. Ou plutôt le karma (j’y reviendrai). Je me connecte sans trop y croire et constate qu’il n’y a plus de place. Tant pis, de toute façon, sérieusement, 5 km, quelle folie. Second message : « par contre il reste de la place le dimanche suivant ». Il y a donc un deuxième défi Monte Cristo la semaine d’après. OK. Trois clics plus tard, me voila inscrit.

Donc maintenant, en théorie, faut s’entraîner. Sauf que voilà, j’aime la mer, j’aime l’eau, mais aller à la piscine, quelle tannée ! Quand je suis dans l’eau, je suis content. Mais avant, j’ai jamais envie. Je suis obligé de me pousser aux fesses. Je sèche une séance sur deux voire deux séances sur deux. J’oublie mon maillot, j’oublie ma carte pro pour rentrer gratos à la piscine, je loupe l’heure, je me plante de piscine, un vrai gamin qui ne veut pas faire ses devoirs. Ça me rappelle… moi gamin, et ça m’énerve. Heureusement, mon pote Tom et nos rendez-vous incontournables du mercredi soir m’obligent à nager au moins une fois par semaine et j’essaye le vendredi de rallonger les distances jusqu’à arriver, vers le mois de mai, à faire péniblement 3000 mètres avec un pull buoy entre les cuisses pour simuler la flottaison du sel et de la combi. Je sors de ces quelques séances épuisé d’avoir passé la moitié du temps à me battre avec des crampes aux orteils et ayant vu ma nage s’effondrer au fil des longueurs de bassin. Pas très rassurant.

La compétition débute le samedi 7 juin. La météo à Marseille n’est pas bonne. Le mistral a rafraichi l’eau et la mer est mauvaise. La course du dimanche que nous aurions dû faire est annulée à cause du vent. Le karma donc. Et lorsque nous arrivons à Marseille, le samedi suivant, la météo est au beau fixe.

Nous voilà donc à 8h du mat sur la plage du Prado, en combi, la nuque tartinée d’un mélange bien dégueu de Nok et de crème solaire indice 50, puis dans le bateau, puis sur le ponton de l’Île d’If. Vincent, affuté comme un stylet et qui s’est bouffé je ne sais combien de séries de 3000 m en piscine en moins d’une heure vise 1h45. Vu que c’est un cyborg, j’estime qu’il fera 1h44 et il fera en fait 1h43, ce garçon est exaspérant.

De mon côté, comme toujours, j’ai plusieurs objectifs. Le premier annoncé à tout le monde est de ne pas finir dans le zodiac, pourri de crampes ou arrêté par les organisateurs à cause de la barrière horaire de 2h30. Normalement, je ne peux pas me louper à ce point et nager en plus de 2h30 mais ma hantise, c’est les crampes. Si elles arrivent au bout de 1600 mètres comme en piscine, je vais devoir faire plus de 3 bornes en gestion, je ne sais pas si je pourrai.
Le second, est de parvenir à nager peu ou prou sur les mêmes bases que l’année dernière à Nice. Les conditions sont les mêmes (parfaites) et j’avais mis un poil moins de 45 minutes pour boucler les 1,9 km. En maintenant cette vitesse sur 5 km sans faiblir, ça me mettrait tout juste sous les 2 heures. C’est l’objectif secret inavouable. Pour ne pas être déçu, je me donne de la marge et annonce que je pense pouvoir faire entre 2h05 et 2h10.

Après une bonne heure d’attente, le signal est donné, tout le monde à la baille. C’est le moment de vérité. J’ai hâte. Je saute. Au contact de l’eau, je sais. Immédiatement que je ne finirai pas dans le zodiac. Je le sens dans mon corps. En nageant pour atteindre la ligne de départ, je constate que la visibilité est quasi illimitée, qu’il n’y a pas un mouton à la surface de l’eau et pas un gramme de jus. Ça va donc glisser comme à la piscine mais avec les jambes qui flottent à la surface sans que j’ai à faire le moindre effort. L’eau est limpide, chaude mais pas trop, le soleil est très discret, bref des conditions de rêve. Alors GO !

C’est parti

Je me suis placé derrière tout le monde puisque j’estime être parmi les plus mauvais nageurs. Je suis en forme et je suis assez surpris de ne pas me faire distancer tant que ça. Au contraire, je double. Un peu. Ma montre bipe au bout d’un premier 100 m en 2’05 puis un second en 1’53 et le tout sans le moindre effort. J’hésite. Rester à cette allure ou temporiser et m’économiser. On parle quand même de 5km. Je ralentis un petit peu et laisse passer le gros de ce que j’avais doublé et je me cale en 2’10/100 m qui est mon allure sur les triathlons courts. Les sauveteurs en fluo sur les planches balisent le chemin et les bouées sont bien positionnées. Le parcours est simple et comme il n’y a pas de houle, on les voit de loin ce qui me permet d’avoir une trajectoire quasi parfaite sans avoir à forcer.

Les 100 mètres s’enchainent avec une facilité déconcertante et je double régulièrement des nageurs qui semblent ralentir. Seules ombres au tableau, je commence à ressentir une douleur à l’orbite liée à mes lunettes que j’ai déréglées par maladresse la veille de la course et que je n’ai pas pu re régler comme j’aurais voulu. Quand à ma combi, si elle porte merveilleusement bien mes grosses cuisses, elle me lacère le cou et la brûlure liée au frottement gâche le plaisir.

Le temps passe, je continue à régulièrement reprendre des nageurs et j’estime en avoir déjà rattrapé une bonne quarantaine. Je sens que je pourrai accélérer mais j’ai peur de le payer plus tard. Je passe le cap symbolique des 1,5 km de la distance triathlon puis les 1,9 du 70.3 et vers 2,5 km ma nage commence à se perdre un petit peu et j’ai du mal à rester sous les 2’30/100 m. Mon cou me brûle, mon orbite me fait mal mais ça reste plaisant.

Je passe le cap ultra symbolique des 3,8 km de la distance Ironmam avec la banane. Penser que certains, après ça, enchaînent avec 180 km de vélo et un marathon me fait sourire et je me dis que je peux bien faire l’effort pour les 1,2 km qui restent et j’accélère assez pour reprendre un groupe d’une bonne dizaine de nageurs que j’avais en ligne de mire depuis un bon moment.

La dernière bouée est en vue, après cela, il restera 400 mètres et j’aurais bouclé ce truc de ouf. J’atteins la bouée, double un nageur dans le virage et je me rends compte que je suis vraiment dans le fond du peloton et que tous ceux qui sont là sont cuits, alors je vise le petit groupe devant moi et je décide de tout donner et que ça passera ou ça craquera. Je repasse de 2’30 à 2’05 aux 100 mètres, m’agrandit autant que je peux, exagère mon roulis, rentre mon ventre, tape l’eau avec les pieds qui étaient restés inertes toute la course, pas vraiment conscient que je dépense beaucoup d’énergie pour pas grand chose mais comme je suis content alors ça va. Je passe en force entre deux nageurs, les double, puis en reprends 4 ou 5 de plus. Un type avec un tuba est sur ma gauche, j’accélère, il ne passera pas. Je vois l’arche, je tape l’eau comme un furieux et passe la ligne en 2h01 et une poignée de secondes.

Ce n’est pas passé loin et j’avais largement le sub 2h et sans doute le sub 1h55 dans les bras mais je suis super heureux. Généralement quand je loupe mon objectif inavouable et que je suis déçu, j’évite de fanfaronner mais là, je suis quand même vachement content car en natation, je reviens quand même de loin.

Je retrouve Vincent et nous faisons une heure de queue pour avoir notre photo souvenir mais ça valait le coup d’attendre, en se disant que quand même, ça serait bien de revenir l’année prochaine pour faire mieux. Irrécupérables.

Côté classement, je finis 431e sur 515. Assez loin de Vincent qui m’a encore collé plus d’un quart d’heure dans la vue, c’est-à-dire le tarif habituel et je finis (vraiment) très loin du premier qui a mis à peine plus d’1h05 mais assez loin des derniers qui ont mis un peu plus de 2h30 mais sont quand même classés.

Et j’ai pas fini dans le zodiac 😉