Plongée anniversaire sur l’Alja

Un chiffre rond pour une plongée pas vraiment carrée

archipel-les-glenanJe m’étais souvent dit que pour ma 100e plongée, il faudrait marquer le coup d’une manière ou d’une autre mais j’avais plutôt en tête une photo souvenir avec une petite plaque sur laquelle serait écrit 100e ou encore un nez de clown, enfin quelque chose de rigolo ou d’un peu festif.

Finalement, je n’ai rien trouvé de ce type et j’y suis allé avec mon barda et l’expérience acquise lors de mes 99 premières plongées. Et autant le dire tout de suite, ça n’aura pas été de trop pour gérer cette 100e, que le sort a voulu exceptionnelle et inoubliable mais pas pour les raisons que j’espérais.

A priori, tout partait plutôt pas trop mal. J’avais pensé à tout, même à prendre une serviette de bain ; trouvé un super bonnet pour me protéger du vent (pas facile d’acheter un bonnet au mois de juillet mais pas impossible) et acheté des chaussons un peu plus épais que ceux que je porte habituellement.

Je me retrouve donc en mer pour la seconde fois avec un club de plongeurs très aguerris, habitués à plonger dans des conditions dantesques : vent, houle, courant, profondeur, eau froide, visibilité aléatoire… Ayant fait la moitié de mes 99 premières plongées dans la Manche, j’ai un peu l’habitude de tout ça également et c’est donc sans appréhension mais avec humilité que je monte à bord du semi-rigide censé nous emmener sur l’archipel des Glénan où nous attend une belle épave posée sur un fond de 38 mètres.

le bateau du club Actisub Le temps n’est pas folichon, il y a beaucoup de vent et il est impossible de se tenir assis dans le Zodiac. Ça cogne fort mais ce n’est pas désagréable. La concentration pour ne pas valdinguer à l’autre bout du zod prend le dessus sur le mal de mer. Nous mettons une bonne trentaine de minutes pour parcourir les 18 kilomètres qui nous séparent des Glénan. Une fois sur site, ça tangue pas mal. Nous devons plonger en pleine eau. L’épave est signalée par une bouée mais on ne peut pas s’y amarrer car celle ci n’est pas fixée à l’épave ou à un anneau mais à une simple gueuse en béton que nous avons larguée au moment où nous sommes passés au dessus de l’épave. Le zod fait donc des boucles autour de la bouée puis lâche les plongeurs par groupes de deux, au plus près pour éviter que la houle ne nous dégage. Nous devons descendre pile poil le long du bout (le bout, en langage de marins, c’est une corde. Mais sur un bateau, ce mot est interdit alors on dit un bout). Le lâcher, ne serait-ce qu’un instant, risquerait de nous dévier de l’objectif et de nous envoyer au milieu d’un désert de sable.

C’est à nous. S’équiper sur un Zod n’est pas très facile : il y a très peu de place et une fois les palmes aux pieds on ne peut pratiquement plus se déplacer. Je parviens tant bien que mal à m’équiper mais je suis assez maladroit avec les gants que je ne porte pas souvent. Au moment de faire ma bascule arrière, je plaque bien mon masque et me laisse tomber à l’eau mais la sangle de ce dernier est mal positionnée et au moment où je ressors la tête de l’eau, je me laisse surprendre par une vague qui me gifle violemment et  m’arrache le masque. Je comprends instantanément que je ne le reverrai jamais mais pour l’heure, j’ai surtout un problème à régler rapidement.

La mer est devenue vraiment mauvaise et à chaque vague je prends de l’eau dans le nez et les yeux. J’ai toutes les peines du monde à respirer normalement et je ne parviens pas à nager jusqu’à la bouée. Le Zod fait plusieurs tentatives pour essayer de se rapprocher de moi tandis qu’une plongeuse tente de me tendre un masque que je ne parviens à attraper qu’au troisième essai. Je l’enfile, fonce vers la bouée puis descends immédiatement le long du bout. J’ai déjà consommé pratiquement un cinquième de ma bouteille qui ne fait que 12 litres, ce qui est très peu pour descendre sur une 40 mètres mais je sais normalement gérer ma consommation d’air quand c’est nécessaire. Normalement.

Encore essoufflé de mon effort en surface, je consomme plus que de raison à la descente, d’autant que je suis surpris par la chute de température. À 37 mètres, il ne fait déjà plus que 12 degrés. J’arrive au fond avec seulement 150 bars, ce qui, sur une douze litres, ne me laisse qu’une petite quinzaine de minutes au fond si je veux avoir assez d’air pour faire mes paliers. Restons zen, tout cela se gère comme le reste. Une fois au fond, j’ai la surprise de m’écraser quasiment au sol. Comme par sécurité, j’ai pris l’habitude de toujours arriver au fond les jambes pliées, je tombe à genoux (à l’ancienne) mais suis surpris que ma stab ne m’ait pas maintenu à quelques centimètres du sol. Je rajoute donc un peu d’air mais reste inexorablement collé au fond. Je décide de faire la visite du bas de l’épave comme ça en me propulsant avec les mains puisqu’il n’y a pas de flore que je risque d’abimer, l’épave étant posée sur le sable.

Je me retrouve presque aussitôt nez à nez avec un énorme congre. Au moment de le shooter, mon caisson refuse catégoriquement de fonctionner. Toutes les fonctions sont bloquées, impossible d’enlever le flash et vue la profondeur, les photos vont être immondes si je ne parviens pas à le retirer. Je rate donc la plupart des mes photos mais ça, c’est un détail.

un congre

Au bout de quelques minutes, je me souviens que je plonge avec beaucoup (trop) de plomb, ce qui m’oblige à beaucoup compenser avec ma stab. Sauf que ma stab ne fonctionne pas. Je fais signe à mon binôme et lui explique par gestes qu’il faut qu’il revisse mon direct system. Par chance je tombe sur un plongeur 4 étoiles qui non seulement comprend tout de suite ce que je lui raconte mais parvient en deux coups de cuillère à pot à refaire fonctionner le bazar. Sauf qu’à force de balancer de l’air pour rien dans la stab, j’ai encore consommé quelques dizaines de litres d’air et je me rapproche de la zone rouge à grands pas. Le temps de croiser encore deux ou trois congres que je ne parviens toujours pas à prendre correctement en photo (grrr) et me voila sous réserve.

Je fais signe au plongeur qui m’encadre que je suis sous réserve et il m’indique que nous allons remonter mais comme nous sommes les derniers à plonger sur l’épave, il doit faire remonter la gueuse au parachute et cette opération lui prend pratiquement 4 minutes, ce qui correspond à peu près à ce qu’il me reste comme air à une telle profondeur (on consomme 5 fois plus d’air à -40 mètres qu’à la surface). Je remonte de 5 mètres pour limiter les dégâts mais je ne peux pas monter plus au risque de le perdre de vue et je vois mon mano descendre à vue d’œil. Il me reste environ une minute pour prendre une décision, soit je remonte seul et je suis quasi assuré de pouvoir faire mon palier mais aussi de dériver et de me retrouver sans assistance en cas de pépin, soit l’attendre encore et finir sur sa bouteille en espérant qu’il ait assez d’air pour gonfler le parachute de la gueuse, le parachute de palier et nous faire faire nos 7 minutes de palier.

Au palierÇa sera l’option 2. Je l’attends et nous remontons ensemble. À 20 mètres, je lui montre mon manomètre qui indique 20 bars, ce qui ne semble pas l’inquiéter. J’espère un jour réussir à inspirer une telle confiance aux plongeurs qui m’accompagneront… Je tombe en panne d’air en arrivant au palier, pour la première fois de ma vie. Expérience désagréable. Je saisis son octopus, purge ma stab et commence à palmer doucement pour me maintenir à sa hauteur pendant qu’il se bat avec son parachute de palier qui nous ramène à moins d’un mètre de la surface. Je me purge entièrement pour créer du poids et nous redescendons finalement à 4 mètres où mon ange gardien nous stabilisera avec une aisance et une décontraction qui monte que le bonhomme a du métier. De mon côté, je profite de ses 7 minutes d’attente pour vérifier l’état de mon appareil photo qui maintenant qu’il est revenu à une pression normale fonctionne de nouveau parfaitement.

La remontée se fait sans encombre et le retour sur une mer apaisée et sous un soleil couchant sera l’occasion de revivre cette plongée compliquée où tout est allé de travers et où tout a fini par rentrer dans l’ordre. Finalement, ce petit rappel à l’ordre du destin, sur une plongée au chiffre symbolique, est sans doute une bonne chose. La plongée est un sport dangereux. Ce récit sera là pour me le rappeler, si un jour je me laisse aller à jouer les cadors ou à oublier que l’objectif numéro un, c’est de ressortir de l’eau pour parler de ce qu’on a vu en-dessous.