Mais dans quoi me suis-je encore fourré…
Jusqu’à peu, ne plus faire de ski ne me manquait pas tellement. J’aurais échangé sans l’ombre d’un regret une semaine à Courchevel contre ne serait-ce qu’une seule plongée dans n’importe quelle mer chaude du globe. Il aura donc fallu que je passe quelques jours dans les Vosges, en décembre, pour qu’au contact de la montagne, je me rende compte qu’elle m’avait manqué plus que je ne l’imaginais. À peine rentré, je ne pensais déjà plus qu’à repartir et c’est ainsi que je parviens à convaincre Tom, mon irremplaçable acolyte des Paris-Quettetot à vélo, de m’accompagner dans une petite escapade alpine, histoire d’aller vérifier si je n’ai pas trop perdu mon chasse-neige.
À deux jours du départ, Tom m’appelle pour me demander si je possède un baudrier et du matériel d’escalade. C’est sûr, ça aurait dû m’interpeler.
Après une première journée de chauffe dans le domaine de Balme, l’un des trois domaines skiables de Chamonix, nous faisons la connaissance d’Igor, un Chamoniard ayant usé ses skis sur tous les versants des aiguilles de la chaine du Mont-Blanc, qui nous propose de nous emmener skier sur le glacier d’Argentières, accessible depuis le sommet des Grands-Montets.
Alors voyons voir, résumons-nous, il s’agit d’aller faire du ski hors-piste (je n’en ai jamais fait), à une altitude d’environ 3200 mètres avec, accrochés à la ceinture, des broches à glace et toutes sortes d’accessoires utiles pour survivre à une éventuelle chute dans une crevasse, s’initier au mouflage, porter un ARVA sous la combinaison pour être plus facilement retrouvé en cas d’avalanche et slalomer entre les séracs, sachant que sous la neige, il n’y a pas de terre, pas de cailloux, juste de l’eau glacée. Beaucoup d’eau, certes, mais de l’eau quand même. Tentant non ?
Ben… oui et non. Pour tout dire, nous sommes très hésitants. Pour ma part, je ne pense pas avoir le niveau pour le faire et je ne parviens pas à déterminer si les risques sont relatifs ou importants. La plongée m’a appris l’humilité face à la nature et la montagne est sans pitié. Nous attaquons donc par une grosse après-midi de hors-piste mais sur des passages larges comme des autoroutes et si souvent skiés qu’on les confondrait facilement avec des pistes. Contrairement à Tom qui glisse là-dedans comme un poisson dans l’eau, je m’y aventure sans grande conviction, tendu comme une corde à piano et j’y laisse une quantité d’énergie considérable, perdant souvent mes repères et ne parvenant à skier relâché qu’au prix d’un assez gros travail sur moi-même 😕
Au bout de quelques descentes, je commence à y prendre gout car les sensations sont exceptionnelles et la neige fabuleuse. Alors que les pistes sont toutes plus ou moins glacées par le froid, la neige sur ces chemins hors-pistes est cotonneuse et abondante. Après avoir dévalé la Herse, Brochard puis à nouveau la Herse, Igor nous annonce que nous sommes au niveau pour le glacier, que le lendemain, la météo sera exceptionnelle et que ça va être tiptop. S’il le dit.
So be it !
Effectivement, ce matin, il fait un temps magnifique. Nous arrivons un peu en avance à la gare de Lognan et nous profitons de l’attente pour nous équiper. Tout cet attirail est un peu impressionnant mais Igor ne lésine pas sur la sécurité. Nous nous équipons tous d’un ARVA et d’un système permettant de nous remonter en cas de chute (baudrier pour mes acolytes, cordes et mousqueton sur mon sac de rando) et répartissons le matériel de sécurité dans les différents sacs (sonde d’avalanche, pelle, couverture de survie, broches à glace, ainsi qu’une corde de 30 mètres et divers outils d’escalade).
La benne que nous avons réservée la veille arrive enfin et nous emmène au sommet des Grands-Montets où nous sommes soufflés par la vue qui est absolument extraordinaire. Avant de partir skier, nous montons sur la terrasse du belvédère en faisant attention à ne pas se rompre les os. Il fait -26°C ce matin et l’altitude rend la montée de ces quelques dizaines de marches gelées assez pesante mais le spectacle en vaut la peine. Nous pouvons apercevoir le début du parcours que nous allons emprunter et une petite boule d’appréhension commence à clairement se nouer dans ma gorge. Le moins qu’on puisse dire est que je n’en mène pas large. Je suis partagé entre l’excitation du truc, la crainte de ralentir tout le monde et aussi, il faut bien le dire, la peur d’un danger qui n’est pas du tout imaginaire.
Quand faut y aller
Nous passerons par la droite du Rognon, le passage le moins difficile. C’est un itinéraire très emprunté et proche des pistes mais qui présente tout de même quelques réelles difficultés. Bien qu’il en ait toutes les caractéristiques, cet itinéraire n’est pas vraiment considéré comme de la haute-montagne par les locaux car des centaines de skieurs passent par là et parce que les risques, quoi que réels, sont relativement limités, la zone étant en partie sécurisée par les pisteurs.
Les skis à peine chaussés, nous rencontrons la première difficulté. Le début de la piste est totalement gelé et très (vraiment très très) pentu. Le vent souffle fort et Igor craint que je ne m’explose en descendant seul. Il se place donc en dessous de moi pour sécuriser ma progression. Je commence à me demander si mes petits camarades ne m’auraient pas légèrement menti en me disant que j’allais me faire ça les doigts dans le nez. Je gère donc cette première pente comme je peux en descendant « en feuille » puis nous arrivons devant le panneau indiquant qu’on entre dans une zone de crevasses. Petit frisson dans le dos quand même.
Le principe est simple. On ne voit pas les crevasses d’en haut, seulement du dessous. Igor sait où se trouvent les plus grosses, les plus connues. Il convient donc de rester dans ses traces et de ne pas tomber. Sauf que c’est très pentu et un peu flippant quand même. Je tente donc de rester dans ses traces mais je suis si tendu que je skie comme un débutant et je finis par dévier en me rétablissant après avoir failli m’étaler sur une bosse mal négociée. J’entends Igor crier « pas par là » et le temps de voir son visage changer de couleur, je comprends que je viens de passer sur une crevasse. Si on ne me l’avait pas dit, je ne m’en serais jamais rendu compte. Prise de conscience instantanée : le hors-piste, c’est vraiment dangereux ! Règle de Jedi : Y aller seul, jamais tu ne t’y risqueras.
Nous avons ensuite quartier libre pour la seconde descente. Une immense étendue de neige merveilleuse, pleine de bosses et de poudreuse mais sans aucun danger. J’arrive à me détendre un peu et à skier correctement et m’offre même le luxe d’une petite ligne droite sur la fin.
Nous arrivons ensuite sur un chemin tracé qu’il convient de suivre sans dévier d’un pouce à cause des séracs. Pas de difficulté particulière tant qu’on skie bien droit, ce qui n’est pas difficile car la pente est faible.
Et pi d’un coup, ça se complique. Nous arrivons à un passage délicat. Une crevasse que l’on peut passer à pied ou à ski. J’opte pour le ski. Mauvaise pioche. Un peu tétanisé par l’appréhension, j’amortis mal à l’arrivée et m’écrase comme une bouse en déchaussant au passage. La scène est bien entendu immortalisée par mes petits camarades qui l’avaient sentie venir et qui ont tout filmé ;-). J’ai le réflexe de m’accrocher à la paroi et de rester aussi immobile que possible, le temps que mon sauveur parvienne à récupérer mon ski avant qu’il ne glisse au fond du glacier et m’aide à remonter, ce dont je lui serai éternellement reconnaissant.
La suite sera plus calme, nous suivons un chemin tracé au milieu d’une immense étendue de neige immaculée dans laquelle personne n’a posé sa trace et bien que nous ne soyons qu’à quelques mètres des pistes, je ressens une drôle d’impression au sein de ce paysage surréaliste d’une beauté invraisemblable.
Après une longue ligne droite, une petite montée et une micro-descente, nous débouchons enfin sur la piste au bout d’un peu plus d’une heure (les meilleurs la bouclent en moins de 6 minutes) contents de l’avoir fait mais pas vraiment prêts à recommencer. Enfin pas tout de suite. Encore que. Je dis pas que si on me proposait d’aller faire la vallée blanche…
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