L’envie de tenter un Paris-Cherbourg à la force des mollets ne date pas d’hier
Initialement prévu en rollers ce projet a longtemps été remis à plus tard car il se heurtait à trois difficultés qui m’ont toujours semblé insurmontables : le portage, le climat et les sols. Les heures et les heures passées sur les forums de raids à rollers n’ont pas suffit à me convaincre de tenter le coup et certains récits apocalyptiques de patineurs ont fini de me persuader qu’il y avait un trop grand risque que ce type de voyage se transforme en énorme galère.
Lorsque j’ai commencé à pédaler il y a un peu plus d’un an, je me suis assez vite rendu compte que le vélo permettait résoudre ces trois problèmes. Un vélo, pour peu d’être un peu organisé, peut trimballer 15 kilos de barda sans problème, la pluie, en dehors du fait qu’elle gâche un peu la fête, n’empêche pas de rouler et un bon vélo peut encaisser n’importe quel type de revêtement. Et puis moi le vélo, à vitesse égale, ça me fatigue quand même dix fois moins que le roller. De fait, ce périple, complexe en roller, devenait tout à fait réaliste en vélo. J’ai donc décidé de le faire et maintenant que c’est fini, je me sens limite un peu démuni tant ce projet m’a accaparé le cerveau pendant ces six derniers mois.
Un solo à deux
Dans mon esprit il a donc toujours été question de faire ce raid en roller et en solo. Au final je l’ai fait en vélo et en duo et très franchement c’est sans doute mieux comme ça. J’ai eu tout le temps d’y repenser pendant les 90 derniers kilomètres que j’ai finalement faits en solo par la force des choses. Lorsque je repartirai voyager en vélo, je repartirai accompagné. Pour le partage de l’instant, pour les petits coups d’œil pour vérifier que l’autre est bien derrière, pour les petits efforts pour recoller quand l’autre n’est plus qu’un point de mire et puis aussi, il faut bien l’avouer, parce que d’un point vue plus pragmatique, c’est bien pratique de voyager avec quelqu’un qui monte les tentes plus vite que l’éclair et indispensable pour pouvoir faire les courses au supermarché (sauf à avoir très confiance en son prochain quand on abandonne son vélo chargé à ras-bord sur le parking du Auchan).
Ô mon vélo oh oh oh (air connu)
La question du choix du vélo ne s’est jamais vraiment posée pour moi car il n’était pas question que je le fasse avec un autre vélo que le mien, acheté il y a à peine un an et que j’adore. Je ne voulais pas non plus avoir à le modifier (tout le monde connaît mes compétences en bricolage) donc j’ai juste ajouté des cornes de cintre (indispensables pour changer souvent de position de mains), monté deux porte-bidons, changé les pneus d’origine pour des Michelin Country rock plus étroits et ayant un meilleur rendement et, bien entendu, monté un porte bagage. Enfin trois pour être précis, et là, je vais vous épargner le récit complet de nos problèmes de porte bagages mais sachez quand même qu’à nous deux nous avons acheté pas moins de 5 porte-bagages et que ça a été une très grosse prise de tête. Si je devais repartir faire un long périple en vélo, plusieurs semaines par exemple, je pense que je changerais la potence pour une potence plus relevée car j’ai senti quelques douleurs au dos en fin de journée. Je changerais sans doute la selle pour une selle Brooks, ce que j’ai hésité à faire. La selle en gel de mon vélo est de bonne qualité mais j’ai quand même eu bien mal au c…
Au niveau mécanique, je pense que ce vélo, qui est parfait pour aller bosser et se balader en forêt, est quand même un peu light lorsqu’il est mis à rude épreuve. Le boitier de pédalier, connu pour être fragile sur cette gamme de vélo n’a pas tenu le choc et m’a accompagné d’un bruit lancinant sur les 100 derniers kilomètres. Par contre rien à redire sur le service après-vente D4, un petit passage à la Glacerie quelques jours après mon arrivée et je repartais une demi-heure plus tard avec un boitier neuf sans débourser un centime. Si je décide un jour d’upgrader ce vélo, je pense que la première pièce que je changerai sera donc le pédalier.
L’équipement
Au niveau du portage, j’ai longtemps hésité à investir dans des sacoches de qualité puis finalement à un mois du départ, j’ai décidé de me faire un petit plaisir (les sociologues appellent ça un achat compulsif). J’ai acheté ce qui me semblait être le plus adapté à mon voyage court, à savoir deux sacoches Vaude, une des deux marques allemandes (avec Ortlieb) qui semblent être le top du top et franchement je n’ai pas regretté. Ceci étant dit, Tom qui a fait le voyage avec des sacoches D4 était ravi aussi, donc au final, l’important c’est surtout de se faire plaisir. Je me suis habitué à rouler avec du poids à l’arrière en dix minutes et contrairement à ce que j’avais lu, les sacoches n’empêchent absolument pas de rouler en danseuse ni de bomber comme un débile dans les descentes, ce que je ne me suis pas privé de faire.
Avec le recul, je pense que j’ai emmené un peu trop de vêtements, et quelques trucs inutiles mais je ne regrette pas d’avoir pris mon énorme duvet de 1,6 kilos car il est certes très encombrant mais super confortable. Mon prochain projet de voyage à vélo sera cependant sans doute l’occasion d’investir dans un duvet ultra-light et une tente bivouac légère.
L’errance assistée par ordinateur
J’ai également acheté un GPS en mars en prévision de ce voyage. J’ai opté pour un GPS basique (qui nous a d’ailleurs sauvé la vie aux Pays-Bas en voiture), petit et pas cher qui avait l’avantage d’être compatible avec un support spécial pour vélo très pratique. Mon super pote « un problème, dix solutions » m’a bricolé un adaptateur pour la prise allume cigare, le tout raccordé à une pile de deux kilos (pas très écolo mais bon) qui m’a donné une autonomie surréaliste et qui tenait pile poil dans ma sacoche de guidon. Je l’ai rechargé pour le principe le deuxième soir mais elle aurait pu tenir 4 jours sans problème. Le poids n’a pas vraiment été un problème, et a même permis d’équilibrer le poids total du vélo. J’ai également investi dans une carte de la Normandie que nous n’avons jamais consulté et surtout des fiches itinéraire que j’ai mis des semaines à préparer et qui n’ont servi à rien car après avoir galéré comme pas possible le premier jour avec ces fiches et copies d’écrans de Google map, nous avons décidé de laisser faire le GPS en mode vélo avec l’option « distance la plus courte » et ça a été parfait, sans prise de tête, facile. Merci monsieur Garmin.
Étape 1 : Paris-Évreux 131 km
C’est parti. Première bonne surprise, Alors que ce samedi 1er août est classé noir dans le sens des départs, Paris est un immense désert. On perd pas mal de temps aux feux rouges car nous ne sommes pas encore super à l’aise sur nos montures lestées. On se paume un peu, évidemment, puisque je décide de ne pas suivre le GPS mais mon super itinéraire. Direction le Bois de Boulogne où le GPS nous sauve finalement d’une longue errance mais déjà au moins trois bornes de rabe. Les banlieues proches que je craignais moches et remplies de voitures sont finalement mignonnes comme tout et surtout désertes. La sortie de Paris se fait sans encombre. Première difficulté avec la longue montée de St Germain-en-Laye et à nouveau des petits détours pour suivre mon chemin plutôt que le chemin proposé par le GPS. Depuis le début j’avais décidé de passer par Poissy, quitte à faire un détour pour pouvoir prendre la piste cyclable qui coupe la forêt de St Germain mais au final cela ne présente aucun intérêt particulier. Nous décidons donc de suivre les panneaux et d’aller au plus simple et nous embrayons sur la montée (l’escalade) vers Orgeval. Là nous nous retrouvons pile poil sur le tracé prévu mais dans le mauvais sens (j’ai beau regarder la carte je ne comprends toujours pas comment on a fait notre compte) et je sens que Tom commence à douter de mes capacités à nous amener à bon port en moins d’une semaine. Après avoir fait encore un peu de rabe, nous atterrissons à Maule un petit bled du 78 où nous nous ferons arnaquer comme des bons touristes que nous sommes dans un resto médiocre qui pratique des tarifs à la tronche du client, moment déplaisant mais pas au point d’entamer ma bonne humeur légendaire. Passons !
La sortie de Maule est un cauchemar, à froid nous attaquons une côte qui n’en fini pas et Tom qui n’a pas de petit plateau sur son engin improbable et antédiluvien met le pied à terre (gnarf). Le GPS indique alors qu’il nous reste 70 bornes alors qu’il ne devrait nous en rester que 50 d’après mes fiches. Nous prenons donc la décision de ne plus suivre mes fiches et de se fier au GPS. Bonne pioche ! Mais nos détours du matin nous ont quand même fait faire 15 bornes de trop qui se sentiront le soir. Dès lors que nous ne sommes plus obligés de nous arrêter toutes les 20 secondes pour chercher notre chemin, une certaine routine s’installe et nous cheminons tranquillement en nous arrêtant toutes les heures pour grignoter et nous poser quelques minutes. Le voyage dure et dure encore, et à 19 heures nous ne sommes toujours pas arrivés. Tom en a marre. Il ne se plaint pas mais je sens bien qu’il en a marre. « Ça va ? » « Ouais ! ». Puis à 5 km d’Évreux, Tom nous fait une blagounette : « j’ai crevé et pour la roue arrière il faut démonter entièrement le porte bagage !». Arghh. Finalement la réparation sera plus simple que prévue et nous revoilà en selle. Une pause au supermarché pour acheter le pique-nique du soir, un passage express devant la cathédrale histoire de dire qu’on l’a vue, de faire une photo (si, si, c’est une vraie, c’est pas un montage) et direction la voie verte du lendemain. Une fois l’entrée de la voie repérée, nous trouvons un coin bien sympa et tranquille pour camper.
La pluie aura l’élégance de nous laisser installer le bivouac, attacher les vélos et pique-niquer dans l’herbe avant de commencer sa danse qui durera jusqu’au petit matin, ce dont nous luis sommes gré.
Étape 2 : Évreux-Merville Franceville 118 km
Bien entendu Merville-Franceville ce n’est pas sur le chemin pour aller à Cherbourg. C’était pourtant notre seconde ville étape et la bonne surprise a été de découvrir le matin en programmant le GPS que ce dernier se proposait de nous y emmener en 115 km au lieu des 125 prévus.
Il est fort ce GPS ! C’est donc parti pour deux heures de ballade qui, en théorie, sont sensées être les plus agréables du voyage car il s’agit de la fameuse voie verte de 43 km qui relie Évreux à Pont Authou. Eh bien en fait non, c’était pourri ! Ça commence par 10 km de faux plat que nous avons fait sous la pluie avec un vent de face qui nous clouait sur place. C’est ensuite une longue ligne droite assez quelconque, pas très jolie, et sans aucune infrastructure (peu de bancs, pas de tables) mais surtout des espèces de passages super compliqués lors des croisements avec les routes très chiants à prendre avec un vélo chargé et qui nous enquiquineront de bout en bout. De nombreuses petites départementales se sont avérées bien plus sympas. Et puis surtout c’est là que Tom a décidé de faire du moutain-bike avec son vélo de course. Verdict : un silex coupé en deux et pas moins de deux rustines pour arriver à réparer les deux trous causés par la pierre. C’est alors mon tour de faire une blagounette. Pour une raison qui m’échappe encore, j’ai décidé de remettre un peu d’air dans mon propre pneu qui était pourtant parfaitement gonflé. C’est le moment qu’a choisi la valve de ma pompe pour rendre l’âme permettant à l’air sagement comprimé à 3,5 barres de reprendre sa liberté. La pompe de Tom n’étant pas compatible, je parviens péniblement à remettre un barre et demi dans ma roue et me voila quasi à plat pour le reste de la journée. Pour la petite histoire nous ne croiserons une station service qu’à Cabourg. Du coup, à partir de là, c’est moi qui suis à la traine et le reste de la matinée sera très difficile avec en bonus, la pluie et le vent, bref une sale matinée.
Le dimanche tout est fermé à la campagne et comme nous désespérons de trouver un resto sympa ouvert, nous nous rabattons sur la plus mauvaise boulangerie du Calvados. Je passe toute ma pause déjeuner à essayer de trouver un moyen de regonfler mon pneu. Je finis par réussir à bricoler mon flexible de pompe avec un serre-joint et à le regonfler à peu près correctement.
Les 60 derniers kilomètres seront cependant les plus agréables. Les villages traversés sont mignons comme tout, nous prenons des chemins de traverse sans voiture. Cette partie du Calvados est magnifique avec des paysages variés et des maisons typiques superbes mais aussi des côtes épouvantables suivies de superbes descentes (ça marche aussi dans l’autre sens, mais c’est juste une question de gout). Et puis le vent est tombé et Tom trouve son second souffle et décide d’allumer. Nous faisons les 40 derniers kilomètres à une allure très soutenue et nous arrivons finalement à Merville vers 19h15, où une douche chaude et un petit coin d’herbe nous attendent. Nous profitons de pouvoir poser notre matériel à l’abri dans le camping pour aller se manger une gaufre dans un rade de bord de route puis dodo tôt car demain, y’a grosse étape.
Étape 3 : Merville – Quettetot 140 km
Trois mauvaises nouvelles ce matin : le dépôt de pain du camping est fermé (pas de petit dej, les boules), Tom a de plus en plus mal au genou et le GPS annonce 141 km au lieu des 130 prévus initialement. Je sais pas ce que j’ai foutu mais mes prévisions kilométriques sont à côté de la plaque. Définitivement. Nous roulons quelques kilomètres mais bien qu’il ne se plaigne jamais, il semble évident que Tom ne pourra pas finir. Son genou le fait souffrir le martyr. Nous nous trainons péniblement jusqu’à Bayeux et nous prenons la décision de viser la gare. C’est décidé, Tom va s’arrêter là. Nous trouvons sur le chemin une petite rue piétonne très sympa avec pleins de restos dont celui où nous nous posons et où nous passons un super moment. Puis nous nous séparons car j’ai pris la décision (discutable) de continuer seul.
C’est moins rigolo seul. Et puis je me demande si j’ai bien fait. Et puis j’ai plus envie de faire du tourisme, j’ai envie d’arriver, alors j’allume. Je ne roule pas beaucoup plus vite, un à deux kilomètres heure au dessus, mais c’est suffisant pour passer du rythme ballade-rando à un rythme soutenu que je sais ne pouvoir encaisser qu’une heure ou deux. J’ai beau essayer de me raisonner, n’ayant personne à suivre ou à attendre, je me sens obligé d’allumer. Une heure après, j’ai fait 21 km et je suis mort. Je croise par hasard une jolie clairière avec des tables comme un appel à la pause et c’est pile le moment que choisit Sophie pour m’appeler et m’annoncer que Tom est déjà récupéré et à bord de la voiture. Ça me met un coup au moral terrible.
Pendant que je faisais mes 21 km Tom a eu le temps de prendre le train, en descendre, mettre le vélo dans la voiture et je sais que dans 10 minutes il sera arrivé. Le sens même de ce périple devient un peu flou. Je repars en essayant de rouler un ton en dessous et de profiter du paysage, d’autant qu’il fait un temps magnifique. Mais bon, c’est moins marrant. Et puis mon pédalier continue à déconner et à faire un clac assourdissant à chaque tour de manivelle et comment vous dire… c’est super casse-c… !
Eh puis les kilomètres s’enchainent et alors que je pensais que le Cotentin serait synonyme de montées et de descentes je découvre que toute la région des marais est désespérément plate. Et finalement assez monotone. Il faudra attendre d’approcher de Saint Sauveur le Vicomte pour retrouver les paysages que j’aime tant. Finalement, m’étant pas mal économisé les deux premiers jours, j’ai assez de jus pour tenir 4 heures sur un rythme assez soutenu et je parviens à gérer mes débuts de crampes assez efficacement. Je pense même pouvoir arriver avant 20h mais en arrivant à St Sauveur, je perds un temps fou à trouver le début de la voie verte qui doit me mener à Bricquebec.
Je la débusque enfin et c’est parti pour les derniers kilomètres. J’avale les cinq premiers kilomètres à plus de 30 km/h et estime que je serai à bon port vers 19h30. C’était sans compter que cette superbe voie me réservait encore 8 km de faux plat montant et j’arrive à Bricquebec dans un état de délabrement assez avancé. Ça sera l’occasion de la dernière blagounette du voyage : pour éviter la côte de Cattigny, je décide de passer par derrière et je trouve le moyen de me perdre dans la seule partie de tout l’itinéraire que je connais comme ma poche. Je me fais donc 3 bornes de rabe avec trois côtes suivies de trois descentes puis enfin la dernière ligne droite jusqu’à la « maison des vacances ». Là, un accueil digne d’une arrivée du tour de France m’attend avec paparazzis sur le bord de la route, signaleurs, confiseries et embrassades, bref, que du bonheur.
J’ai vraiment trop de bol. Je me dis ça en voyant mon comité d’accueil aux petits soins, car pendant que je fais le mariole sur mon vélo ou mes rollers, il y a tous les gens que j’aime qui doivent s’adapter, me supporter, m’aider à trouver des solutions, supporter ma mauvaise humeur quand je suis tracassé par ma préparation qui ne va pas comme je voudrais et finalement poireauter sur le bord de la route en attendant que je pointe le bout de ma roue. Que ferais-je sans vous ? Et puis voila, c’est fait, c’est bouclé, c’est fini. Objectif atteint.
Tom, soigne ton genou, et on remet ça quand tu veux ! Car moi, pour tout dire, je ne pense déjà qu’à repartir.