Jamais content
Bon allez, disons-le, je suis déçu. Limite contrarié. Non j’exagère. Juste déçu. Un peu. Ce n’est pas la première fois que je signe une contre-performance, loin de là. Il m’est arrivé souvent de rater à quelques minutes voire quelques secondes, un objectif que je m’étais fixé et pour lequel je m’étais entraîné sérieusement. Il m’est arrivé souvent de finir dans un tel état de délabrement que réussir ou pas à atteindre mon objectif n’avait plus la moindre importance. Avec l’expérience, j’ai appris à estimer assez précisément ce dont j’étais capable à un instant T et à me fixer des objectifs réalistes. J’avais annoncé à plusieurs reprises que j’allais tenter de faire moins d’une heure trente et me suis entraîné dans cette perspective. In fine, j’ai, au prix de souffrances exagérées, passé la ligne d’arrivée de mon 5e Paris-Versailles en 1h29 et 30 secondes. Je devrais donc être, si ce n’est content, au moins satisfait d’avoir fait ce temps réaliste mais voilà, ce n’est pas le cas.
J’espérais, secrètement, qu’en état de grâce, mu par une force de caractère en acier trempé et d’un moral à toute épreuve, j’allais, faire la course de ma vie et enterrer mon record de 2011, même si je le devinais hors de portée. Fantasme. D’autant qu’en course à pied, je reviens de loin.
Il fallait, pour y arriver, recommencer à courir sérieusement, je l’ai fait. Il fallait perdre 6 kilos, j’en ai perdu 7. Il fallait me trouver un plan d’entraînement et le suivre, je l’ai suivi quasi à la lettre. Il fallait réorganiser un peu ma vie, je m’y suis attelé, consciencieusement. Je dors plus et mieux, je mange moins et mieux, je bosse moins et… je bosse moins donc. Bref je reprends de bonnes habitudes, perdues au fil de ces quatre dernières années. Alors forcément, j’aurais dû pouvoir faire au moins aussi bien qu’en 2009, année de mon premier Paris-Versailles, que j’avais bouclé en 1h29 et 19 secondes. Je n’y suis pas parvenu. J’ai fait une belle course, j’ai donné tout ce que je pouvais mais encore une fois, j’ai été pris d’une immense fatigue. Et je refuse catégoriquement de croire que cela vient uniquement du fait que j’ai 7 années de plus au compteur. Je refuse catégoriquement de croire que j’ai vieilli. Ce serait trop facile. Trop injuste.
Morne matin et idées noires
Je me lève ce dimanche matin avec mes jambes des mauvais jours et le moral des courses ternes, fatigué d’une nuit pourtant suffisamment longue et peu agitée. C’est la première fois depuis trois ans que je m’aligne sur une compétition avec une préparation sérieuse et un plan d’entrainement réalisé dans son intégralité, mais en posant le pied par terre, je sens que ça ne le fera pas. Le climat en arrivant sur place est oppressant. Les forces de l’ordre sont omniprésentes, des hommes et des femmes lourdement armés, visages fermés, scrutent chaque passant et nous jaugent comme autant d’ennemis potentiels. C’est très anxiogène. Là où habituellement, le pont d’Iéna est un joyeux foutoir, des cordons de sécurité aiguillent les coureurs vers des postes de filtrage et de fouille. Des agents de sécurité, des barrières et des grilles qui encagent les coureurs encerclés par des hommes casqués visiblement sur les dents. Ça me rappelle un peu les scènes terribles du Londres du « Fils de l’homme » un de mes films préférés mais qui transposé dans mon quotidien de coureur amateur est extrêmement dérangeant.
J’accède en quelques minutes au sas préférentiel où mon dossard magique me permet de venir me placer à quelques mètres de la ligne de départ. Le départ est imminent. Pour nous qui avons un accès privilégié, l’attente sera d’une minute ou deux tout au plus alors que certains sont là depuis des heures. Un zigoto décide quand même de sauter la barrière qui nous oriente vers la ligne de départ, histoire de gagner une minute. Les barrièrages ont été renforcés et il faut être sacrément abruti, dans ce contexte, pour sauter une barrière. Tout le sas se met à pouffer en le voyant partir comme une fusée à la poursuite des Kényans en oubliant de passer sous l’arche qui déclenche le chrono. Tant pis pour lui. Les plus empathiques lui hurlent de revenir mais il détale comme un lapin, sans doute fier de son acte d’insurrection.
Je l’oublie aussitôt car j’ai des problèmes bien plus graves à régler avec moi-même. J’ai perdu toute confiance en moi. Si on m’avait dit un jour que j’écrirai une connerie pareille… Mon palpitant bat la chamade, je suis mal à l’aise et l’ambiance résolument non festive n’aide pas vraiment. Bref, je broie du noir, je ne suis pas tellement content d’être là. Puis, à 10h et 56 secondes, le mouvement des coureurs qui m’entourent me tire de ces sombres rêveries et m’emporte dans un mouvement de foule libérateur.
C’est parti !
J’ai le parcours bien en tête. 5,5 km de plat avec de longs passages descendants et quelques très légers faux plats montants. Je m’étais promis de ne pas dépasser les 12km/h afin de ne pas me cramer. Mon plan de course est bien écrit, je pars sur une base de 1h25. je dois arriver à la côte des gardes en pleine forme avec 28 minutes au compteur, monter la côte sans marcher à 9km/h et maintenir ensuite une moyenne de 11,5 km/h jusqu’au bout en accélérant fort dans les descentes et les 600 derniers mètres. Easy.
J’avale le premier kilomètre en 4’20, beaucoup trop rapide. Je tente de ralentir mais j’ai cette foulée qui revient tout le temps et elle me convient. Au deuxième kilomètre je ressens une soif intense, j’ai la gorge qui me brûle et je peine à respirer. Au 3e kilomètre, je suis encore trop rapide, je passe en 14 min 30 et je suis déjà très fatigué. Pas essoufflé, pas cramé, fatigué. Limite las. Limite j’arrêterais bien et on reporterait à la semaine prochaine parce qu’aujourd’hui ça m’arrange pas. Je passe le 5e kilomètre en 25 minutes 05, profite du ravito pour essayer de me réhydrater et de prendre un peu de sucre et j’attaque enfin la côte des Gardes.
Je m’y sens étonnamment bien, je grimpe sans grandes difficultés, j’aime grimper. Je me suis bien entraîné, j’ai fait plusieurs séances à bloc dans des côtes plus raides que celle-ci. Lentement mais sûrement. Un tronçon, puis deux, puis trois et me voilà au sommet. 173 mètres de dénivelée. Tranquille. Mais voilà, il reste 8 kilomètres. Et ces 8 kilomètres, j’ai juste pas envie de les courir. J’aborde le 9e kilomètre comme une épreuve insurmontable, le 10e comme un Everest. Ça se passe dans la tête, les jambes, elles, suivent sans problème. Je passe la ligne imaginaire des 10 km en 54 minutes, côte incluse. C’est sans doute mon meilleur 10 km depuis longtemps mais le simple fait de penser à tout ce qu’il me reste à courir me broie le moral.
Arrive enfin la longue descente, je l’avale plus que je ne la cours, je double 300 personnes, sans effort, force de gravité oblige. Mais je ne prends aucun plaisir, tétanisé par l’idée de tomber en rade.
Je serre les dents dans les montagnes russes mais la montée du cimetière de Viroflay me met à genoux. Je l’avais zappée celle-là. Arrivé à Versailles, je suis cuit. Panne sèche. 1h22. L’avenue de Paris. Cette foutue ligne droite qui monte insidieusement et qui est si large qu’on ne s’en rend pas vraiment compte. Plus rien. Plus une goutte de gasoil. Je ne parviens à maintenir une vitesse décente qu’au prix d’un effort démentiel. Je repense à mon chemin de croix de 2014. j’avais explosé en vol et fini en 1h34. Pas encore. Inconcevable. J’essaye de retrouver du jus mais il n’y a rien qui vient. Vincent, parti 20 minutes après moi, me rejoint à ce moment-là. Il court à près de 15 km/h pose sa main dans mon dos et me sourit « je t’ai quand même rattrapé ! » Certes. Mais bien plus tard que la dernière fois 🙂 Ça me booste. Un peu.
1h25. J’ai perdu toute chance de battre mon record et ce depuis un moment. Je souris niaisement aux photographes et continue à trimer en essayant de trouver un truc pour m’obliger à repartir. C’est insensé ! Je suis forcément capable de courir encore un kilomètre avec un minimum de dignité. Alors je ferme les yeux et je m’oblige à ré accélérer. Je me cale à 12 km/h, je ne m’écoute plus, je recommence à doubler. J’accélère encore et au tournant je vois enfin l’arche. Mon cœur est sur le point de sortir de ma poitrine, j’accélère encore, mon chrono m’indique 13 puis 14 km/h. Certain peuvent courir un marathon à cette vitesse-là, moi je tiens généralement 200 mètres. Il en reste 500. J’ai deux options : ralentir et m’effondrer ou accélérer encore en espérant ne pas claquer un infarctus avant la ligne. Il reste 100 mètres, je finis au sprint par orgueil. Je passe la ligne d’arrivée à deux doigts du malaise. Je ne chancelle pas. On me donne une bouteille d’eau minérale au gout atroce. Plus loin, un sac avec deux barres de céréales d’une sous-marque de supermarché et une micro-pomme. Le Paris Versailles, c’est plus ce que c’était. La médaille est belle, comme toujours, je suis content de la porter.
Épilogue
C’est fini, enfin, j’ai donc fait moins d’1h30. Et je me classe dans la première moitié du tableau. Bon. C’est pas si pire. Le plus dur maintenant va être de retrouver la motivation pour repartir. Ne pas lâcher l’entrainement une nouvelle fois. Recourir. Dès que possible. Perdre enfin ces 5 derniers kilos avec lesquels je négocie depuis 10 ans. Et faire un chouette chrono. Au moins un. J’adorerais écrire que j’ai battu un record, vraiment. 1h53 par exemple. Mon record sur les 20 km de Paris. C’est quand la prochaine édition ? Dans 15 jours ? D’accord !