9 microscopiques secondes
Alors, ces 20 km de Paris, on se la joue comment ? Si vous m’aviez posé cette question il y a 3 mois, en plein été, lorsque je m’entrainais au soleil, je vous aurais répondu sans hésiter : « on s’attaque au record et on y croit ».
Si par contre, si vous m’aviez posé la question le matin du départ, pendant que je ruminais devant ma tasse de café, je vous aurais sans doute fait une réponse très différente.
Tout l’été, ces 20 km étaient mon objectif prioritaire. Contraint de faire l’impasse sur Paris-Versailles après avoir oublié d’envoyer mon dossier d’inscription, j’avais décidé de ne m’entraîner que pour ça. Pas de côtes, peu de VMA, juste des sorties régulières et des passages à 11 km/h pour avoir l’allure bien dans les jambes le jour J.
Et puis comme souvent à la rentrée, le quotidien a repris le dessus. Journées de boulot interminables, climat automnal déprimant, incapacité à maintenir un poids décent, bref ça restait jouable mais sans trop de conviction. Et puis s’est présentée à moi une opportunité de faire quand même le Paris-Versailles. J’aurais pu et dû dire non mais voila, vous savez comme je suis, j’aime pas gâcher. J’y suis donc allé et ce fut catastrophique. Le genre de course qui se passe tellement mal qu’il est presqu’impossible d’en faire un article rigolo. J’explosais en vol au 13e kilomètres et finissait la course au petit trot, passant la ligne en boitant à plus de 12 minutes de mon record. Affligeant.
Deux semaines plus loin, les 20 km de Paris n’étaient désormais plus pour moi qu’une promesse de nouvelles souffrances et toute motivation pour cette course à venir et même, pour la course à pied en général, disparaissait quelque part du côté de Chaville. Le jeudi malgré tout, motivé par un pote qui n’aime pas courir seul, je rechaussais mes baskets pour un footing un peu pêchu mais pas prometteur.
Entrainements ? heu… non.
Les entrainements du dimanche et du mardi étaient, quant à eux, très compromis du fait de mon départ pour 4 jours sur la presqu’Île de Giens avec mon club de plongée. Oui je sais, j’ai de vrais problèmes moi. Les soirées furent longues, douces, le temps parfait et l’endroit idéal mais voila, pas de course à pied après la plongée. Avant oui, mais pas après. J’ai bien emmené ma tenue car il arrive qu’une plongée du matin soit programmée plus tard mais ce ne fut pas le cas et l’idée de me lever à 6h du matin pour aller courir ne m’a jamais ne serait-ce qu’éffleuré. Le jeudi enfin, la pluie et des galères au boulot firent sauter cet énième entraînement et toutes les conditions étaient donc réunies pour que ça soit un nouveau carnage.
Enfin, histoire de bien aggraver la situation, je ne résiste pas, le samedi matin, à la tentation d’aller essayer longuement mon nouveau vélo (oui j’ai un nouveau vélo mais je vous raconterai un autre jour). Je me lève donc ce dimanche avec des cuisses en bois et un moral à au moins moins huit mille.
Au pied de la tour Eiffel (et qu’elle est belle !)
Cette année, l’organisation est optimale. L’an dernier, ce fut un bordel sans nom pour accéder à mon sas mais cette année la mairie nous a tous collés dans la catégorie 1h35. J’accède donc au sas jaune situé sur le milieu du pont d’Iéna en un clin d’œil. La légère bruine du matin disparait et me voila en un éclair à quelques mètres de la ligne de départ. Alors, finalement, ces 20 km de Paris, on se la joue comment ?
C’est la septième année consécutive que je m’aligne sur cette classique. Je me rappelle de m’y être copieusement emmerdé en la jouant touriste mais aussi d’avoir réussi à battre mon record en 2013 en courant au feeling. Je décide donc de suivre le plan initial et de courir sur la base de 5 min 30 au kilomètre et voir combien de temps ça tient.
C’est parti !
Contrairement à l’an dernier, aucun embouteillage, je suis sur mon allure semi immédiatement et me cale dans cette allure que je ne quitterai plus. Il y a beaucoup de monde mais c’est fluide. Le nouveau parcours est top, d’immenses lignes droites bien plates, des légers faux plats descendants ou montants suffisamment doux pour ne pas casser le rythme et un temps particulièrement clément. Ni trop chaud, ni trop froid, ni vent, ni pluie, des spectateurs nombreux, moins de militaires et de policiers que d’habitude, bref une bien belle course.
Ça déroule gentiment, j’ai mal un peu partout mais ça va. Arrivé au ravito, j’hésite puis décide de ne pas m’arrêter. Je bois quelques gorgées, me ressucre et continue à courir sur le même timing. Plus les kilomètres défilent et plus je commence à me dire qu’il va peut-être y avoir moyen de tenir un peu plus longtemps que prévu. Je regarde ma montre, dubitatif, je suis carrément en avance et aucun voyant n’est réellement au rouge. C’est inconfortable mais ça reste gérable.
Je passe les 10 kilomètres en moins de 55 minutes et continue à dérouler mais la fatigue arrive et la hantise des crampes s’installe avec elle. Et pourtant, contre toute logique, ça continue à passer. Je passe le 15e kilomètre avec seulement 15 secondes de retard qu’il sera très facile de rattraper à la fin en accélérant un peu. Je me mets à vraiment y croire, malgré la fatigue et les jambes lourdes.
17,18¸ça passe toujours mais je perds 15 secondes au kilomètre et c’est vraiment dur. Je bouge mes orteils dans tous les sens depuis le 2e kilomètre pour ralentir l’arrivée des crampes et ça semble marcher. Un peu. 19e km, je flanche. J’ai les mollets durs comme du bois. Les 4 tunnels sont passés comme dans du beurre mais la dernière montée pour sortir des quais me semble un Everest. Il reste 500 mètres, je sais que je ne pourrai pas passer sous les 1h51 mais le record est à portée d’orteils. C’est pas très logique mais pourtant ça reste possible. J’accélère mais je n’ai plus rien sous la semelle, je fais du mieux que je peux mais ça ne passe pas.
Je rate ma marque pour 9 secondes. 9 microscopiques secondes…
C’est pas grave, il me reste encore disons… 30 belles années de course à pied devant moi, si ce n’est pas cette année, ça sera l’année prochaine ou dans 25 ans, quand je serai enfin à la retraite 😀