24 heures du Mans roller 2022 – Vainqueurs en catégorie 6 heures en solo
Oui, oui, vous avez bien lu, vainqueurs ! Mais avant toute chose il est important de bien relativiser notre performance, sans la bouder pour autant.
Alors oui, on a gagné, oui, on est monté sur le podium et oui on a passé 6 heures à tout faire pour que ça se termine comme ça. Nous avons contrôlé la course, maintenu la concurrence à distance, joué crânement notre chance, profité des défaillances des autres. Et je suis super content d’avoir fait le déplacement mais, soyons honnête, même quelqu’un d’aussi définitivement immodeste que moi doit convenir que si tout cela est extraordinairement fun, la performance quant à elle reste très modeste.
Les 24 heures du Mans roller, encore.
Mais reprenons depuis le début. Pour ceux qui ne savent pas du tout de quoi on parle, quelques éléments de contexte. Les habitués de ce forum peuvent se rendre directement au paragraphe suivant s’ils sont pressés. En 2000, le roller est à la mode. Les randos urbaines ne désemplissent pas, les marques de roller se multiplient, bref tout le monde fait du roller. Un évènement hors norme se crée alors, les 24 heures du Mans roller. Ça se passe sur le circuit Bugatti du Mans, celui des motos. 4,185 km, une quarantaine de mètres de dénivelé positif, essentiellement concentrés sur la côte Dunlop, une côte de 800 mètres de long avec deux virages, dont le second, bien sec, pique un peu les jambes. Pas forcément la première fois mais au fur et à mesure que s’enchaînent les tours, c’est à cet endroit-là qu’on se rend le plus compte que 24 heures, c’est long.
J’ai participé à cette épreuve 11 fois au cours des 20 éditions. 3 fois avec des équipes de potes, 8 fois sous les couleurs de mon association de roller, Roolilalet’s. J’y ai participé en équipes de 10, en équipes de 6 et 4 fois en duo.
En 2018, ma 10e participation est l’édition de trop. Engagés en duo, nous déclarons forfait dans la nuit après avoir encaissé des chaleurs caniculaires et accablantes. Les trois éditions suivantes sont annulées (canicule en 2019 puis covid en 2020 et 2021).
Cette année, j’hésite. Risque d’annulation, risque de canicule, zéro entrainement en roller car focalisé sur d’autres objectifs sportifs, je finis par décider de ne pas engager d’équipe sur la compétition. Quelques mois avant, Thomas m’apprend que cette année, les organisateurs proposent un nouveau format, une course de 6h. Départ normal à 16h mais arrêt à 22h. L’idée est séduisante mais je l’évacue aussitôt et n’y pense plus.
Puis samedi dernier, alors que je somnole dans mon canapé, je repense à cette histoire de 6h. je consulte le site de la course machinalement et constate qu’à J-6 il reste de la place. Je regarde le prix des billets de TGV et me souviens qu’on sera le 1er week-end de départs en vacances. Il reste bien quelques sièges mais au prix d’un Paris-Bangkok en première classe. Autant oublier. À moins de parvenir à remplir une voiture et d’y aller à plusieurs, ça n’est pas raisonnable. Et à J-6 normalement, personne d’un peu sensé n’est censé dire oui à une proposition pareille mais contre toute attente, 3 messages whatsapp plus tard, la voiture est complète.
Il n’y a donc plus qu’à…
… retrouver les rollers 🙂 . Je me rappelle bien de les avoir rangés quelque part en rentrant du Mans en 2018, mais où… Sous le lit pardi et quand je les ressors, je prends conscience de l’ampleur de mon non-entraînement. Pas grave, j’ai toujours répété que le roller c’est 1/3 de matos, 1/3 de physique et 1/3 de technique. C’est le moment de le prouver. Mais d’abord, trouver un aspirateur avec une bonne brosse.
Une fois les rollers dépoussiérés, je trouve deux fois une heure pour aller rouler histoire de rappeler à mes muscles à quoi ressemble un effort de roller et je sens bien que ça n’ira que si j’y vais tranquille. Objectif, maintenir à peu près 12 minutes au tour. Avec un record aux alentours de 9 minutes, c’est une allure qui ne nécessite jamais de forcer, 5 tours par heure, 120 km et un peu plus de 1300 mètres de D+, ça sera déjà parfait si je finis en forme, sans crampes et avec le sourire.
Nous récupérons nos dossards à l’arrache et découvrons que nous sommes très peu d’engagés sur le format 6 heures. L’organisation a créé 125 formats et 250 sous-catégories donc autant dire qu’il n’y a de la densité nulle-part. Il y a même des catégories où il n’y a pas assez de concurrents inscrits pour remplir un podium. Les grandes années du roller sont clairement derrière nous. Sur le format 6 heures, ce n’est pas folichon. Seulement 17 équipes dont 7 solos dont nous 3.
Vincent et moi avons une approche différente de cette information. Moi, j’me dis que jusqu’à samedi dernier, ils n’étaient que 4 dans leur/notre catégorie et que c’est un peu la loose. Vincent, lui, est le premier à tilter qu’il y a moyen de faire un podium et passe rapidement en mode guerrier.
C’est parti
Après avoir passé la majeure partie de l’après-midi à dormir pour essayer de me remettre d’une des pires semaines de boulot de ma carrière, je prends le départ en chaussettes accompagné de mes deux acolytes. Vincent veut en découdre, impossible de le suivre sans exploser dans deux heures. Thomas et moi le laissons filer, certains de ne pas parvenir à le suivre plus de 3 tours. Nous intégrons un train de « vrais » solos qui eux vont rouler 24 heures. Le premier impose un rythme étonnant et comme nous sommes une grosse dizaine dans le train, nous avançons sans le moindre effort. Nous doublons presque aussitôt deux de nos concurrentes puis un troisième que nous classons vite dans la catégorie « totalement inoffensifs ».
Mais diable, il n’en reste donc plus qu’un, ce qui veut dire que deux d’entre nous monterons sur le podium. On se dit ça en rigolant et commençons à imaginer un podium full Roolilalet’s. Au bout de 5 tours menés tambour battant par les solos, le train explose. Rythme trop soutenu pour eux, dommage pour nous, nous repartons à deux et commence notre long périple. Nous trouvons assez vite la combinaison qui nous convient le mieux. Je prends le vent dans la côte Dunlop. Je suis plus large et j’aime grimper. J’ai pas mal de D+ dans les jambes grâce à ma préparation pour la Barjo et ça monte assez facile. Thomas qui a toujours été beaucoup plus rapide que moi, prends le vent sur le reste du circuit et nous coupons totalement notre effort dans la ligne droite des stands car le vent y est féroce. Il fait pas loin de 30 degrés mais si le vent est pénible dans la montée, il nous pousse dans toute la partie descendante et atténue l’effet de la chaleur. Bref, on est à la cool, et on est super contents d’être là.
Au bout de quelques tours, Thomas commence à regarder le classement live et se rend compte que nous trustons les 3 premières places depuis le début. Le 5e est dans les choux à 3 tours mais le 4e nous talonne. Si nous voulons remplir le podium, il faut le maintenir à distance. Il roule à la même vitesse que nous mais nos 5 premiers tours rapides dans le train des solos nous ont mis à l’abri.
Ce qui signifie qu’on sera sur le podium si on tient et qu’on ne s’arrête pas. La stratégie zéro pause est donc la seule option. Je sais aussi que vu notre impréparation à l’effort particulier du roller, nous ne devons en aucun cas forcer inutilement pour éviter à tout prix les crampes. Et vu qu’il fait quand même très chaud, cela implique aussi de boire beaucoup et souvent. Le staff, chargé de nous alimenter et de courir remplir nos gourdes va donc jouer un rôle majeur en nous permettant de ne jamais nous stopper ne serait-ce qu’une seule seconde.
Vincent a quasiment un tour d’avance, il file vers la victoire. Tom et moi devons donc juste contrôler le 4e. Les tours s’enchainent les heures passent il est toujours à nos basques. Nous n’arrivons pas vraiment à creuser l’écart mais il ne nous rattrape pas. Nous arrivons de temps en temps à intégrer des trains de solos où nous nous faisons sympathiquement mais copieusement charrier parce que quand même, faire 6 heures aux 24 heures, c’est un peu comme comme manger seulement l’entrée et demander le café quand les autres attaquent le plat. Les trains, ça fait rouler beaucoup plus vite mais ça pompe aussi pas mal d’énergie et de concentration. Le plus souvent, nous roulons à deux en alternant assez efficacement les prises de relais. Je commence à me demander pourquoi Vincent, que nous guettons depuis maintenant plusieurs heures ne nous a toujours pas repris un tour. Alors que nous nous attendions à le voir nous doubler à tout instant, nous l’apercevons sur la zone moquette, assis sur une chaise. Nous lui hurlons qu’il est premier mais rien n’y fait, nous apprendrons plus tard qu’il s’est battu comme un diable malgré une douleur intenable au genou jusqu’à ce que ça devienne insupportable et qu’il renonce à continuer.
En route vers la victoire
Cet abandon nous chamboule un peu car il nous propulse premier et deuxième et se pose désormais la question que personnellement je ne m’étais pas encore posée, lequel de nous deux va passer la ligne le premier. À deux heures de la fin de la course, nous savons que si le 4e avait eu les moyens de nous reprendre, ça serait déjà fait. Ça sera donc Thomas ou moi sur la première marche. Nous avons clairement besoin l’un de l’autre pour finir peinards car rouler seul au Mans quand il y a du vent est une tannée. En plus, nous sommes assez complémentaires car je le traine dans la montée et qu’il me traine dans les descentes. Et puis franchement, j’étais venu pour faire une rando moi, pas pour me tirer la bourre avec un jeunot qui me colle une minute au tour. On se met donc d’accord sur le fait de faire la totalité de la course ensemble, de passer la ligne main dans la main et de laisser le hasard décider quelle roue passera la ligne en premier.
La nuit commence à tomber, nous avons désormais un tour complet d’avance, il suffit donc de ne pas tomber ou de ne pas avoir de défaillance. à 21h50, nous passons la ligne une avant-dernière fois collés l’un derrière l’autre. Le speaker comprend qu’on fait la course ensemble et ne parle désormais plus que de nous. La moto de tête vient se placer à côté de nous, nous comprenons qu’elle va nous escorter pendant tout ce dernier tour, la nuit tombe, le speaker est en folie et l’émotion commence à m’envahir parce que, en vrai, on est vraiment en train de gagner une course et qu’à ce moment-là, toute autre considération devient superflue.
Je fais remarquer à Thomas qu’on ne peut pas gagner en se trainant et qu’il faut pousser sur les cuisses même si au final, ça ne change pas grand chose à notre vitesse. Nous arrivons enfin dans l’allée des stands. C’est surréaliste. Nous sommes applaudis, ovationnés même. Main dans la main, on remonte les stands. J’ai beau savoir que certains solos qui courent sur les 24 heures nous ont déjà collé 4 tours dans la vue, ça fait quand même des petits frissons partout. Je vois que Thomas est mieux placé que moi et que c’est lui qui va prendre la première place mais je n’ai absolument aucune raison de tenter de forcer pour placer mon pied en avant et c’est bien son roller qui passe la ligne 27 centièmes de secondes avant le mien.
Il y a 25 ans, nous aurions été ex-aequo mais la technologie moderne nous départage ainsi et c’est très bien comme ça. Le troisième nous attend sur la ligne pour nous féliciter et nous découvrons enfin à quoi ressemble notre ultra sympa et fairplay adversaire invisible.
Les vainqueurs des vraies 24 heures du Mans sont célébrés au champagne sur la passerelle au-dessus du circuit. Nous, nous aurons droit à trois cubes en bois dans les paddocks coincés entre le bar et le stand des kinés mais c’est fun quand même et tellement inattendu. Je suis juste un peu déçu que Vincent n’occupe pas la troisième place avec nous, ça aurait été vraiment fun d’avoir les trois maillots Roolilalet’s sur un même podium.
On redescend des cubes aussi vite qu’on y est montés et on se demande déjà si on sera là l’année prochaine, comme à chaque fois. Reviendrais-je au Mans ? Sans doute. Pour défendre mon titre de vice-champion des 6 heures solo ? Rien n’est moins sûr 😀