2017 : duo d’enfer, 2018 : l’enfer du duo
L’an dernier, je quittais le Mans sur un petit nuage, pas peu fier d’avoir contribué à approcher notre duo du podium. J’aurais dû en rester là. Mes chances de faire mieux étaient nulles ou presque. À moins bien sûr de m’entraîner dur, ce que tout le monde y compris moi savait parfaitement que je ne ferai pas.
Mais comme chaque année, j’ai re signé. Et comme les étoiles ne peuvent pas toujours être parfaitement alignées, cette 10e participation aux 24 heures du Mans roller a tourné en eau de boudin.
Y aller, pas y aller…
Début juin. Alors que je regarde le soleil se coucher sur les calanques, perclus de douleurs lombaires, j’apprends qu’une des patineuses de l’autre équipe Roolilalet’s, blessée, renonce à participer. Vu le temps que je viens de passer à lui trouver des coéquipiers, j’ai la certitude que je ne pourrai pas la remplacer. Je me retrouve donc avec, d’un côté, une équipe maudite définitivement impossible à boucler et de l’autre un Vincent que je ne veux pas abandonner malgré une furieuse envie de tout envoyer balader. Une idée géniale me vint alors, caser Vincent dans l’équipe de 6 et déclarer forfait.
J’annonce donc à tout le monde que je suis out pour l’édition 2018 mais quelque chose de con en moi m’empêche d’aller au bout de cette décision raisonnable et au lieu de réorganiser le week-end pour qu’ils puissent se passer de moi, je me mets en tête de me remettre sur pied et d’y aller quand même. Pourquoi ? Parce que.
Je me gave d’anti-inflammatoires, passe entre les mains du kiné et à quelques jours du départ, les douleurs s’estompent suffisamment pour que je prenne la décision débile d’y aller quand même. Débile parce que j’aurais du savoir, et d’ailleurs je savais, que je ne pourrais pas rouler cette année. Et pas à cause de quelques disques intervertébraux légèrement tassés. Non, à cause d’un ennemi bien plus sournois : le réchauffement climatique.
My-Koeul vs the global warming
Contre toute attente, j’arrive au Mans en assez bonne forme. Je ne suis pas vraiment inquiet mais j’ai chaud. Très. Mes coéquipiers endurent cela avec philosophie, moi je dépéris. La rando se passe bien mais au fil de l’après-midi, le thermomètre grimpe, inexorablement jusqu’à ce que ça devienne quasiment insupportable.
Tous les sites météo annoncent un week-end caniculaire avec des pics de chaleur record. Il s’agira donc de faire 12 heures d’effort entrecoupées de temps de repos brefs et peu réparateurs sous 37° à l’ombre sur un circuit où il n’y a pas un cm² d’ombre.
Maintenant que j’y réfléchis, au calme, je me rends compte à quel point c’était idiot de ne serait-ce que tenter le coup. Il y a des gens qui supportent des chaleurs bien pires, mais pour moi qui étouffe à partir de 28°C, tourner en rond sur des rollers avec une chaleur pareille est une énorme connerie, surtout quand on le fait sans conviction, et sans plaisir.
C’est parti
Je prends le départ à 16h sous un soleil de plomb. Vincent, comme toujours, nous a fait des qualifs de dingue et nous place 65e.
Les départs en chaussettes du Mans, j’adore. Je traverse la piste, enfile mes rollers à toute vitesse et entame un premier tour sous les 10 minutes qui me laisse totalement asséché. J’essaye de m’hydrater avec les bouteilles d’eau chauffées au soleil que distribuent des bénévoles qui ont l’air aussi accablés que les rares patineurs qui s’affrontent sur le circuit mais rien n’y fait. Comme dirait ma fille, je suis au bout de ma vie.
Le roller, sport en déclin évident, ne fait plus recette et le circuit avec son petit millier de participants (contre plus de 6000 dans les belles années) fait peine à voir. Il y a 10 ans les tours en solitaire étaient rarissimes. Aujourd’hui pour accrocher un train, il faut surtout de la chance.
Après 5 tours, je suis cuit. À tous les sens du terme. Je transpire à grosses goutes et ressens un immense vide. Tout le monde s’inquiète autour de moi. Je suis incapable de fournir un effort aussi long avec de telles températures. Moi qui n’ai jamais froid et me promène en tee-shirt en hiver, je ne sais pas gérer ça.
Je repars une heure plus tard pour 4 tours interminables qui me laissent à moitié mort. 50 minutes plus tard, à peine remis, je dois repartir pour 4 tours de plus avec l’entrain d’une vache qu’on mène à l’abattoir. Tout cela n’a pas le moindre sens mais je m’accroche à l’idée qu’une fois le soir arrivé, je recommencerai à prendre du plaisir à rouler.
Retour en force
Il est 20h. J’en suis déjà à ma 5e série de tours et l’air devient enfin à peu près respirable. Le résultat est immédiat, je tourne mieux et plus vite et je prends même un peu de plaisir à patiner. Un tout petit peu. Je surprends d’ailleurs Vincent qui n’avait pas anticipé ma nouvelle allure et je m’offre un tour bonus. Sans grande conviction mais sans souffrance.
J’ai toujours su que l’abandon faisait partie intégrante de la compétition. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été tenté abandonner. Je ne l’ai jamais fait. J’ai toujours trouvé un sursaut, puisé dans mes réserves, trouvé de la motivation, un sursaut d’orgueil. En fait si. J’ai abandonné une fois, sur l’éco-trail de Paris. Mais comme je ne savais pas où j’étais, j’ai suivi les autres jusqu’à Paris et comme il y avait un tee-shirt et un gueuleton pour les finishers, je me suis traîné jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ai d’ailleurs rédigé par la suite un des billets les plus rigolos de ce blog.
Ce fut très différent cette nuit lorsque j’ai pris la décision d’arrêter de rouler. J’avais pourtant attaqué la nuit avec certes beaucoup d’appréhension mais avec aussi un petit regain d’énergie et l’envie d’aller au bout des trois heures à venir. Dès le premier tour, j’avais réussi à intégrer un train de solos et duos qui roulaient tranquillement. À l’abri du vent, j’enchainais les tours sur des temps plutôt bons, sans fatigue et sans grande difficulté. Bien équipé, sac à eau sur le dos et nombreux gels pour ne pas revivre la fringale de l’an dernier, j’étais en passe de réussir l’impossible.
Et puis au bout de 7 tours, tout est parti en cou… Le train dans lequel j’étais était fragile. Les solos épuisés, lâchaient un à un et lorsque nous nous sommes retrouvés à seulement trois, celui qui menait a accéléré et je n’ai pas pu le suivre. Seul, à nouveau, j’ai forcé un peu l’allure dans le vain espoir de raccrocher un autre train. Je n’ai pas écouté la première alerte, une crampe perfide dans l’avant du pied qui m’a bloqué deux orteils dans la descente Dunlop. J’ai cru que ça passerait puisque tout finit par passer mais le doute s’est installé et je sus qu’il serait presque impossible de tenir encore 6 tours.
J’avais pourtant fait plus de la moitié de ce que je m’étais fixé mais au moment de finir le tour, dans la dernière courbe en descente du circuit, lancé à près de 30 km/h sur des patins devenus incontrôlables, mes jambes m’ont lâché. C’était sans issue, elles étaient si dures qu’aucun mouvement n’était possible et la douleur de 4 crampes arrivées simultanément devenait insurmontable. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour choisir entre les deux options qui s’offraient à moi. Chuter ou tenter de me stopper. J’envisage mais évacue aussitôt la possibilité de me jeter volontairement dans l’herbe et tenter d’amortir avec une roulade de ninja mais avec le risque, vu la vitesse, de me luxer à nouveau l’épaule ou le coude. Une nouvelle crampe me foudroie la cuisse. je tends la jambe par reflexe et tente de garder l’équilibre sur un seul pied alors que la jambe encore au sol est tendue comme un arc par une crampe au mollet. Je ne contrôle plus rien, je prends de la vitesse et sur un seul pied, je suis aussi stable qu’une brouette sur une patinoire. Je mentirais si je disais que j’ai vu ma vie défiler mais j’ai ressenti très clairement l’ineptie de ce que j’étais en train de faire. Et j’ai détesté ça.
C’est fini
L’adrénaline aidant, sans trop savoir comment, je parviens à me stopper et à reprendre un peu mes esprits. Puis, petit pas par petit pas, pourri de crampes, incapable de me pencher pour déchausser, je fini après 7 interminables minutes à boucler les 400 mètres qui me séparent des stands. Je sais à ce moment-là que tout est terminé mais je m’impose de passer la ligne pour valider ce tour à la con. Je pars directement dans la tente de massage où une élève kiné adorable passe près d’une heure et demie à essayer de me détendre les jambes qui sont dures comme deux souches d’arbre. Il est presque 2h30 quand j’en ressors, pouvant tout juste marcher.
J’imagine alors que Vincent est sur le point de partir. Au final, j’ai roulé assez vite et très régulièrement pendant plus d’1h30 et mon heure et demi chez le kiné nous a fait perdre seulement six tours sur le prévisionnel, le podium est loin mais on peut encore se battre pour un top 5 si après avoir dormi je suis capable de repartir. Je tombe sur Vincent qui lui ne partage visiblement pas mon optimisme. Il n’a pas l’air du tout pressé de partir. Je fonce me coucher sans trop me soucier de la suite.
Je me réveille à 6h plutôt en forme et prêt à en découdre. Mon enthousiasme ne durera que quelques minutes, le temps d’arriver aux paddocks. J’y trouve Vincent endormi. Je ne vois pas son visage, je le contourne pour vérifier que c’est bien lui en regardant le nom inscrit sur le tee-shirt. Pas d’erreur. Il n’a donc pas été au bout non plus. Je n’ai pas de motivation pour deux et au final, ça m’arrange assez de ne pas avoir à décider, alors je fais ce que j’ai le plus envie de faire à ce moment-là, je retourne me coucher.
J’apprendrai plus tard qu’il a pris le relais avec une bonne demi-heure de retard et a arrêté de tourner 30 minutes avant la passation de relais. So be it.
La suite n’a que peu d’intérêt. Après quelques heures de sommeil, je passe une grande partie de la journée à glander au bistrot du circuit en sirotant des coca-light hors de prix mais bien glacés. Pas une seconde je n’envisage de reprendre les patins pour quelques tours. À 10h30 il fait déjà une chaleur suffocante. La dernière chose au monde que j’ai envie de faire, là tout de suite, c’est de faire du roller. J’attends donc patiemment la fin de la course car la deuxième équipe, quant à elle, cartonne courageusement sous un soleil de plomb.
Nous ne finissons même pas derniers. Nous n’avons pas à rougir de nos 65 tours, certains font moins en 24 heures. Je suis juste tracassé par ce que sera le classement en tête de course. Au final, il n’y aucun regret à avoir. Les 3e font 140 tours. L’an dernier nous en avions fait 132. Même en faisant une nuit canon, j’aurais pu en faire 3 de plus grand maximum et Vincent était à 110%. Nous n’aurions jamais pu les rattraper et j’aurais détesté finir encore une fois 4e.
Mais bon, on a beau retourner le problème dans tous les sens, j’aurais pas du y aller et croyez-le ou non, on n’est pas prêt de m’y reprendre 😀