Le piaf
Tout petit déjà…
Un peu de terminologie pour commencer. Miklc, pseudo imprononçable, est un vestige de mes années de lycée. Mi-Ka-eL, mon prénom, et C parce que c’est l’initial de mon nom de famille. Je signais ainsi les caricatures que je publiais anonymement dans le journal underground et vaguement subversif que nous produisions avec une machine à écrire et deux tubes de colle. Autant dire la préhistoire pour la génération Instagram.
J’utilise aussi un autre pseudo assez ridicule, Razouille. Ca ne ressemble à rien et ça ne dit rien sur moi. J’avais choisi ce pseudo en m’inscrivant à Kazaa pour pirater des chansons. Je m’étais dit qu’il serait mieux de prendre un surnom d’ado, un truc un peu ridicule et loin de moi. Finalement c’est resté parce que j’ai bêtement réutilisé le même sur des forums. L’anonymat est tombé depuis longtemps, le pseudo crétin est resté. J’ai même du le porter sur un badge à un mariage. « Alors c’est toi Razouille ? – Ouais, mais tu peux m’appeler Raz ! 🙂 »
Après le lycée, j’ai renoncé aux brillantes études que d’autres envisageaient pour moi à cause d’un détail anecdotique (pas de bac, pas de chocolat), pour entamer une carrière très prometteuse de livreur de pizza à mobylette dans les bars glauques de Pigalle. J’ai longtemps pensé qu’à cette époque j’avais touché le fond mais quand je vois ce que gagne aujourd’hui un livreur Deliveroo, je me dis qu’étant alors en CDI et doublant mon salaire avec les pourboires, j’ai sans doute connu l’âge d’or de la livraison de pizzas. Mais bon, c’était une autre époque, et même un autre siècle et n’ayant alors aucun esprit visionnaire et aucun avenir dans la profession, je me suis rabattu sur ce que je savais faire le mieux, à savoir m’occuper des autres bien mieux que de moi-même, en partageant mon temps entre mes « petits Parisiens » et « mes victimes » au sein de la Croix-Rouge française.
J’ai longtemps hésité, plusieurs fois envisagé et même failli quitter le confort de mon statut de fonctionnaire pour me lancer corps et âme dans cette association qui a occupé une place très importante dans ma vie et qui aujourd’hui m’indiffère profondément. Ma passion pour l’humanitaire s’est effritée à force de déceptions et à cause de mon refus d’en accepter les contradictions.
Je m’en suis mieux sorti dans l’éducation populaire, construisant ce qui ressemble aujourd’hui à une jolie carrière grâce à quelques facilités pour charmer les jurys de concours, de validation des acquis ou d’examens professionnels. Je suis actuellement chef d’un pôle qui encadre des centaines d’agents municipaux et je porte désormais sur mon parcours professionnel un regard apaisé.
L’handicapé de la clé de Fa
Avouons-le, minot, je ne me rêvais pourtant pas en fonctionnaire ni en chef de quoi que ce soit. Je m’imaginais plus en rock-star mais au lieu d’apprendre à chanter, j’ai choisi de jouer de la basse. Mal. Mon prof de conservatoire, un type adorable, ne s’est jamais découragé malgré le peu d’espoir que mon arythmie musicale et ma mémoire capricieuse lui inspiraient. Peu de talent, peu de travail, peu de prédispositions et au final pas de vraie passion ni d’envie. Il n’y avait aucune chance pour que ça fonctionne. J’ai d’ailleurs revendu ma basse et n’en ai plus joué depuis plusieurs décennies. Mais quand j’écoute les Red Hot ou Metallica, je n’entends que la basse et quand je me rêve sur scène, je suis John Entwistle et personne d’autre.
Des bulles d’azote
J’ai consacré une grande partie de mon temps libre à observer des petites bulles qui remontent doucement vers la surface, à essayer de comprendre comment elles se déplacent, à monter à la même vitesse qu’elle, ni plus vite, ni plus lentement.
Ma première descente dans le bleu, remonte à plus de 30 ans et pourtant, je m’en souviens comme si c’était hier. Sans crainte, sans hésitation, de zéro à vingt mètres en deux minutes mémorables. C’était le 4 juillet 1994 à quelques milles de la presqu’île de Saint-Jean-Cap-Ferrat et ça m’a marqué à jamais. J’aimerais être peintre pour savoir reproduire précisément ce bleu. Plus beau que le plus beau des trois bleus de Miró et même, peut-être, plus envoûtant que celui de Klein. Un bleu de ouf quoi !
Je n’y vais plus souvent mais l’air de Nice me manque parfois. Il a (et gardera) cette odeur et cette saveur si particulières, mélange de chaleur, de Provence et de vacances. Ça m’a d’ailleurs fait un petit quelque chose lorsque j’y suis retourné pour mon premier triathlon longue distance.
J’ai eu la chance de plonger dans des endroits magnifiques, en eaux chaudes, en eaux froides, dans des lagons transparents ou sur des épaves bretonnes où on ne voit pas ses doigts tellement la visibilité est exécrable. J’ai fait quelques plongées mythiques, visité des épaves merveilleuses et même lorsque je fais de longues pauses, parfois de plusieurs années , même si le mal de mer, les trop longs trajets en bateau, la houle, le froid, la vessie qui hurle dans le néoprène, me pèsent parfois, dès que j’ai un bloc sur le dos et mon détendeur en bouche, je n’ai plus qu’une envie, être le premier à l’eau et le dernier à en sortir. Alors que je me suis retrouvé nez à nez avec à peu près tout ce qu’on peut voir sous l’eau, je suis toujours aussi heureux lorsque je photographie mon 8500e mérou ou que je passe 15 minutes dans 3 mètres d’eau à chercher des micros trucs dans 3 patates de rochers, histoire de vider la bouteille et faire durer le plaisir jusqu’à la dernière minute.
Ne comptez pas sur moi, par contre, pour avouer publiquement que ça m’est venu en voyant le Grand bleu. D’autant que même si j’ai parfois affirmé l’avoir vu neuf fois au cinéma, je peux bien confesser aujourd’hui que c’était extrêmement exagéré !
Du Kimono au võ phục
Je me souviendrai toute ma vie d’une soirée mémorable à Bercy. Voir des arts martiaux, à l’époque, n’était pas une mince affaire. Les « films de karaté » comme on les appelait alors, n’étaient pas de très bonne qualité et les cassettes vidéo coûtaient très cher. Le festival des arts martiaux, organisé à Bercy chaque année, était donc un immanquable.
On s’y emmerdait copieusement les trois quarts du temps mais lors de l’édition de 1990, il s’y est passé un truc incroyable. Un Canadien sorti de nulle part nous a sorti de sa besace un kata musical qui m’a laissé bouche bée.
J’ai passé les cinq années suivantes à taper comme un sourd dans un sac de frappe pour essayer de parvenir à faire d’aussi beaux coups de pieds en rêvant qu’un jour, je partirai au Japon m’entraîner avec un grand maître d’Okinawa. Lorsque 15 ans plus tard j’ai pénétré dans le To Duong, le club mythique du Vovinam Viet Vo Dao, pour participer à mon premier stage sous l’autorité de maître Sen, l’un des plus grands maîtres du Vietnam, ça m’a fait un petit quelque chose. J’y suis retourné à quatre reprises et chaque fois, mon plaisir a été intact. L’Asie est devenu mon deuxième chez moi et j’enrage de ne pouvoir m’y rendre plus souvent.
Mon dernier voyage en Asie remonte à un an avant la crise du Covid. À Tokyo, je me suis rendu au Sengaku-ji, le temple des 47 Rônins. J’avais lu un article sur ce temple dans Karaté Bushido quand j’étais ado et pendant longtemps, m’y rendre était un rêve. Ma mémoire capricieuse avait gravé cet endroit sur une île lointaine de l’archipel nipponne. Deux jours avant d’y aller, je ne savais même pas que mon hôtel était à 3 stations de métro de l’endroit et on ne saura jamais ce qui m’a poussé la veille à regarder sur Internet, à tout hasard. La vie est faite de plaisirs simples. Et puis il y a eu le covid et l’impossibilité de pratiquer pendant des mois. Et comme ça ne m’a pas manqué d’u tout, j’ai pris la décision d’arrêter les arts martiaux après 30 ans de pratique. La vie est aussi faite de décisions étranges.
La vita e bella !
J’ai appris et compris, en secourant des gens qui ne tenaient plus debout, physiquement ou moralement, à mesurer chaque jour la chance que j’avais d’avoir deux jambes solides, d’être aimé et de tirer du regard de mes proches assez de courage pour affronter les difficultés, quelles qu’elles soient.
Deux bonnes jambes donc, et un moral d’acier. J’essaye d’en faire bon usage. Alors je marche, je cours, je grimpe, je glisse, je pédale, je rollerskatise en essayant, jour après jour d’entraîner dans mes balades, mes défis, mes voyages, mes courses, ceux et celles qui veulent bien rester à mes côtés.
Je ne me souviens plus de quel film il s’agit, ni même du contexte, mais je sais que c’est l’un de ceux qui ont bercé mon enfance. Le personnage a fait mantra d’un conseil que lui répétait son père : « fais du mieux que tu peux fiston ». J’fais ça. J’fais du mieux que je peux.
Et tant qu’à faire, j’essaye de faire un peu mieux à chaque fois. Des fois je trouve ça futile, d’autres fois je trouve ça formidable. C’est ma vie à moâ que j’ai et je n’en changerais pour rien au monde.
Le p’tit piaf dans tous ses états