Pop québécoise, trail alpin et virée romantique. What else ?
Dimanche j’ai couru (enfin courir est un bien grand mot mais j’y reviendrai) la version la plus courte du trail des Paccots. Derrière ce nom improbable, se cache une petite station de ski située à une demi-heure de Lausanne dans les Préalpes fribourgeoises. En Suisse donc.
En fait je passais dans le coin, j’ai vu de la lumière, etc. etc.
Il faut admettre que cette année, le hasard aura quand même drôlement bien fait les choses… En théorie, la probabilité que je participe à cette course était à peu près nulle. Mais il s’avère que ma chère et tendre a eu l’excellente idée de m’offrir deux places pour un concert des Cowboys fringants un groupe québécois que j’adore et que j’avais une envie folle de voir en concert. Ces jeunes gens n’ayant pas prévu de venir en France avant un moment et le Québec étant un peu loin, le festival Pully-Lavaux à l’heure du Québec tombait à pic, en plein milieu du week-end de la Pentecôte propice à une longue échappée.
J’eus pu m’en contenter. Mais la tentation de chercher un petit trail dans les parages (des fois que) aura été trop grande. Je n’ai pas eu besoin de chercher longtemps, il se court désormais des trails à peu près partout à peu près tout le temps. Mais celui-là, il faut bien reconnaître qu’il tombait quand même vraiment pile-poil.
Sauf que. Pile le bon week-end, c’est vrai. Mais pas au poil du tout dans mon calendrier. J’avais en effet promis à plusieurs potes de les accompagner au 10 km casse-patte du 19e le dimanche précédent. Je m’étais dit que je le courrais peinard mais je me suis finalement pris au jeu et j’y ai laissé quelques fibres musculaires et pas mal d’énergie. La semaine qui a suivi a été éreintante, me laissant peu de temps pour courir. Enfin, le voyage en voiture vers la Suisse, après deux nuits bien trop courtes n’a pas vraiment arrangé la situation et je suis arrivé en Suisse complétement KO. Les deux heures et demi de concert passées à sauter et hurler à tue -tête et la nuit encore plus courte qui a suivi, ont fini de m’achever. Lorsque j’arrive au Paccots le dimanche matin, je suis un vraie éponge. J’ai les jambes lourdes, mal au crâne et pour ne rien arranger, il fait déjà près de 26 degrés à 8h du matin.
La course en elle-même est par ailleurs loin d’être facile. Avec 1200 mètres de dénivelé positif pour seulement 17,7 km, ça sent la pente bien raide et les organisateurs, soucieux des problèmes de chaleur, finissent de me rassurer en expliquant que le parcours est peu ombragé et que l’on risque de souffrir énormément, ce qui sera l’exacte vérité.
C’est parti !
9h15’00 le départ est donné au centième près, ce qui, en Suisse semble être une évidence pour tout le monde.
J’ai prévu de courir en 2h30 mini, 3 heures maxi et il ne me faudra pas plus de 3 minutes pour prendre conscience du fait que c’est loin d’être gagné. La chaleur est déjà étouffante et mon cœur grimpe dans les tours de façon très spectaculaire. Un problème de lacet m’oblige à m’arrêter quelques secondes et me voila en dernière position à environ 10 mètres de la queue du peloton. Pas question de me retrouver coincé dans la première montée qui doit nous emmener sur la crête de la plus haute des trois petites montagnes qui composent la station, Pralet, qui culmine à 1568 mètres d’altitude.
Je décide donc de courir plus vite que je ne devrais pour sortir du groupe des ultras-lents et me coller aux coureurs de milieu de peloton. J’attaque donc la première ascension en étant déjà dans le rouge. Je grimpe sans trop de mal et double assez régulièrement. Les relances, ça va aussi, je recours dès que la pente le permet et je ne me fais pas doubler donc ça va. Par contre, il fait une chaleur à crever et je sue comme un bœuf. Du sel me coule dans les yeux et j’ai un mal fou à m’éponger. En plein cagnard, dans les montées, même en marchant, je sens mon cœur cogner et j’ai beau essayer de contrôler, la dérive cardiaque est impressionnante. Je parviens même à prendre mon pouls en continuant à courir, juste à l’oreille. Je suis à 180 et il me reste au minimum deux heures de course.
La première descente est agréable. Assez peu technique, sur un sol bien sec, elle ne présente pas de grosses difficultés à part quelques flaques de boue. Au 7e kilomètre, je retrouve Sophie qui a pris un petit raccourci et qui m’attend au ravito. Je me gave de coca et de siflard puis je repars sans trop perdre de temps. Cette fois, on s’attaque au Col de Belle Chaux qui culmine à 1510 mètres. La chaleur devient intenable et je me surprends à être en difficulté dans cette montée. Cependant je ne me fais pas beaucoup doubler, mes camarades de galère étant à peu près dans le même état. Il n’y a pas une once de rivalité entre nous et nous sympathisons très facilement. Je fais une bonne partie de la montée avec un coureur suisse super sympa qui découvre les joies du trail.
Puis arrive la seconde descente. Jusque là, malgré les conditions vraiment difficiles, je contrôlais plutôt pas trop mal mais voila que nous devons désormais passer par les pâturages. Il n’y a pas d’autre trace que celle faite par les coureurs précédents et comme les herbes hautes sont trempées, c’est une véritable patinoire. Le seul moyen de ne pas se rompre le cou est de foncer sans réfléchir. Je parviens à contrôler ma peur sur les deux premières mais au troisième pâturage, j’ai une hésitation, c’est trop pentu, trop glissant et mes pompes n’accrochent pas du tout. Je glisse et me casse lamentablement la binette. En essayant de me rattraper, je fais un faux mouvement fatal à mon épaule droite. Je suis au sol, KO, incapable de me relever tellement j’ai mal. À ce moment là, il me semble que la course est terminée et que je vais repartir sur un brancard.
Pourtant personne ne me rejoint, j’ai encore un peu d’avance sur mes poursuivants. Je parviens à me relever mais je glisse une seconde fois et me retrouve sur les fesses. J’ai un peu envie de pleurer mais je parviens péniblement à me relever une seconde fois. Plusieurs coureurs me rejoignent et me proposent leur aide. Je les encourage à repartir et à ne pas se soucier de moi mais leur gentillesse est rassérénante. Je repars comme je peux, à deux à l’heure. La douleur s’estompe un peu et pour éviter de tomber à nouveau je fais des petits sauts et me remets à trottiner. Puis, petit à petit, je me remets dans la course.
J’ai perdu une dizaine de places, que j’avais si durement gagnées dans les deux montées, ce qui est très rageant.
Le coureur avec qui j’ai sympathisé et que j’avais largué dans la montée me rejoint finalement et nous décidons de courir ensemble. On se raconte nos vies et les kilomètres défilent tranquillement lorsque les premières crampes arrivent. Je lui propose de filer pour ne pas lui faire perdre de temps et je prends une minute pour m’étirer puis je repars encore plus doucement. Deux coureuses me doublent facilement et je commence à manquer vraiment de conviction. Puis arrivent les derniers kilomètres. J’ai l’impression d’en avoir fini mais il reste quelques difficultés de taille et notamment une descente très technique qui demande un bon pied de montagnard que je n’ai pas. Il y a des racines partout, impossible de courir, il faut sautiller, ce qui est un supplice pour les mollets. Je reprends quelques coureurs à l’agonie qui déclinent poliment mon assistance, y’a pas à dire, je ne veux plus jamais courir ailleurs qu’en Suisse. Puis, au moment où je parviens à rattraper et doubler un jeune gars avec qui je faisais la course depuis une heure, je suis, comme souvent, foudroyé par une crampe au mollet. Il s’arrête, m’aide à tendre la jambe et me propose une pastille de sel. Je décline, j’attrape péniblement un arbre puis je parviens à tendre la jambe.
J’ai désormais mal à peu près partout, il fait 250° à l’ombre et il n’y a pas d’ombre. Je n’ai plus d’eau, je suis épuisé et, là tout de suite, ce que je veux, c’est rentrer dans ma maison, m’affaler dans mon canapé vert et regarder Esprits criminel sur TF1.
J’ai encore perdu 5 ou 6 places mais je parviens à repartir. Ce que je ne sais pas encore c’est que le pire est à venir. Deux bosses. Pas bien hautes mais tuantes. La première est si boueuse que chaque pas demande un effort que je ne suis plus capable de fournir. J’en ai plein les pattes. La seconde sera pire encore. Un authentique calvaire. C’est une montée en escalier qui demande de pousser sur des petits rondins. À chaque poussée, mon cœur manque de se décrocher. Les derniers mètres sont rendus plus faciles par la cohorte de bénévoles, tous plus sympas les uns que les autres, qui me portent littéralement par leurs encouragements. Leur gentillesse semble vraiment authentique et comme à chaque fois, je finis par trouver un petit peu d’essence au fond du réservoir et à me traîner jusqu’à la ligne d’arrivée que je passe après 2h56 d’effort.
Étonnamment, côté classement, je m’en tire avec une assez honorable 160e place sur 272 dans un état de délabrement très avancé mais plutôt content, finalement, de ne pas avoir abandonné.
Voila, pour cette année scolaire, les courses, c’est terminé. Du moins en ce qui concerne la course à pieds car dans moins de dix jours, nous partons aux 24 heures du Mans roller pour relever le défi de la catégorie endurance mais ça, c’est encore une autre histoire ;-).
© crédits photographiques : Sophie – Cyril Bussat