Le Merle : 1ère plongée profonde

Narcose, clous rouillés et fil de pêche

CongreEn perçant la surface hier, vivant et en pleine forme, pour la 175e fois de ma palpitante existence, de nombreuses pensées contradictoires se sont bousculées dans ma caboche encore un peu secouée par l’expérience quasi-métaphysique que je venais de vivre. Je venais de passer 44 minutes sous l’eau dont les deux tiers à glander au palier pour déssaturer de tout l’azote accumulé au cours de cette plongée profonde. Ma première plongée au-delà des 50 mètres de profondeur. 52 mètres pour être précis. C’est beaucoup. Ce commentaire fera sourire les plongeurs que ces profondeurs n’impressionnent pas ou plus mais moi, 52 mètres, ça m’impressionne.

Depuis que j’ai mon niveau 3, je suis autorisé à plonger jusqu’à 60 mètres mais encore faut-il qu’il y ait une raison particulière d’aller taquiner ce genre de profondeur. Seule un beau tombant ou une épave peuvent, selon moi, justifier de s’imposer de telles contraintes : temps de plongée limité, attente interminable aux paliers, prise de risque importante. La liste n’est pas exhaustive.

Comme je ne suis pas à un paradoxe près, je me demandais également pour quelle raison j’aimais autant plonger sur des épaves, moi qui ne suis pas marin pour deux sous et que les bateaux et la mécanique n’ont jamais intéressé. Là où des yeux avertis voient un safran, une chaudière ou une hélice, je ne vois le plus souvent que de la ferraille rouillée. Et pourtant, dès lors qu’une occasion d’en visiter une nouvelle se présente, je ne peux résister.

Je me retrouve donc à bord de l’ASAM III, le bateau du club de plongée Cherbourgeois qui m’accueille épisodiquement depuis une dizaine d’années. Toutes les conditions sont remplies pour que tout se passe bien pour cette  première plongée profonde. Il fait un temps magnifique, la mer est relativement calme et un dauphin a décidé de nous accompagner tout au long du long trajet qui doit nous mener sur le Merle, un petit yacht transformé en patrouilleur et coulé par une torpille au cours de la 1ère Guerre mondiale.

Dauphin dans la rade de Cherbourg

Par un drôle de hasard, il y a sur le bateau un Instructeur national (rien que ça) qui accepte de surveiller la bleusaille pour sa première profonde. J’ai plongé souvent à 40 mètres et même quelques fois un peu au-delà mais ce seuil symbolique de 50 mètres me met un peu mal à l’aise. Mais bon, j’y suis, j’y reste et il est temps de se jeter à l’eau, à tous les sens du terme.

Nous sommes obligés de ne pas trop traîner si nous voulons avoir du temps pour visiter l’épave. À cette profondeur, rester plus de 15 minutes au fond serait risqué car plus ça dure, plus les paliers à réaliser sont longs et il faut avoir suffisamment d’air pour les faire intégralement. Or la descente rapide favorise la narcose. La fameuse ivresse des profondeurs et lorsque j’arrive sur le haut de l’épave, à environ 48 mètres, je suis complètement tarté. Je marche à 2 à l’heure et il me faut une quinzaine de secondes pour reprendre mes esprits et gonfler mon gilet pour ne pas m’aplatir sur l’épave. Je continue à marcher au ralenti et m’oblige  à me concentrer sur ce que j’ai à faire. Je vérifie mon air, j’ai peu consommé à la descente et ma bouteille est pleine. Je passe quelques instants à essayer d’allumer la lampe qu’un plongeur m’a prêtée mais comme j’ai l’esprit encore un peu embrumé, je n’y parviens pas. Ce n’est pas grave. Mon binôme a un phare puissant et mon flash de sécurité est suffisant pour qu’il me repère malgré la visibilité qui est assez médiocre.

Épave du MerleNous commençons à explorer l’épave. Notre balade nous entraîne à 52 mètres de profondeur. Je suis probablement encore narcosé mais je me suis habitué et je gère ma plongée sans trop de problème jusqu’à ce que je me retrouve accroché à un fil. Impossible de m’en dépêtrer. C’est la seconde fois que cela m’arrive et j’avais décidé de m’équiper d’un bon couteau à la suite de la très grosse frayeur que je m’étais faite la première fois. J’étrenne donc ce petit joujou que certains plongeurs considèrent à tort comme inutile et me félicite intérieurement d’y avoir mis le prix. Je coupe le fil sans aucune difficulté et réussi à me libérer en un instant. Le plus dur sera finalement de remettre le couteau dans son fourreau mais cette petite montée d’adrénaline semble un bon remède contre la narcose. Me voilà de nouveau bien opérationnel et je commence enfin à profiter de la plongée.

Le bateau est petit, impossible de se perdre mais je ne comprends pas du tout comment il est fichu et ne discerne pas l’avant de l’arrière. Je sais qu’ une petite mitrailleuse a été montée sur la proue du bateau. Au moment où je la trouve enfin, Patrice me fait signe qu’il est temps de remonter. Cela fait en effet 15 bonnes minutes que nous sommes au fond. Nous remontons le long du bout, ce qui est la façon la plus simple de remonter. Mon ordi m’impose un palier profond à 26 mètres que je décide d’ignorer. Il m’en impose un second d’une minute à 15 mètres que cette fois je décide de faire. Après un premier palier à 6 mètres de 3 minutes, nous arrivons dans la zone des 3 mètres ou nous nous emmerdons copieusement pendant 18 interminables minutes puis nous refaisons surface.

Je remonte avec pratiquement 50 barres dans la bouteille (qui il est vrai avait été gonflée à 230 barres pour l’occasion), quelques photos franchement atroces qui en disent long sur mon état de fraicheur au fond et une absence de certitude concernant la suite à donner à cette expérience étrange. Je sais déjà qu’à l’évidence, et contre toute logique, je replongerai en grande profondeur mais pour l’instant, je ne suis pas certain de pouvoir expliquer pourquoi.

© photo : miklc / dessin de l’épave : A. Blanco