Un stage épaves qui porte bien son nom
Il y a deux choses que j’aime par-dessus tout lorsque je plonge : les poissons colorés et la ferraille. Les poissons, pas besoin d’expliquer, c’est intrinsèquement joli. Mais les épaves c’est autre chose. Il faut y aller pour comprendre. Lorsque l’on descend dans le bleu et qu’au bout d’un moment, elle apparait, plus ou moins visible selon les conditions, plus ou moins abimée par le temps, plus ou moins colonisée par les gorgones, c’est parfois magique. Et beau. Et poétique. Et parfois un peu effrayant. Bref, c’est souvent grandiose et je ne m’en lasse pas.
Cette année, la sortie d’automne de notre club de plongée se déroule au Lavandou, petite station balnéaire du Var située juste en face de la réserve naturelle de Port Cros et donc à quelques encablures de quelques-unes des plus magnifiques épaves de Méditerranée. Les plus assidus dès lecteurs de ce blog se souviendront peut-être de mon rendez-vous manqué avec le Donator qui s’était soldé par la noyade d’un appareil photo. Il y avait donc comme un besoin, d’aller voir si cette épave était à la hauteur de sa réputation. Et comme le hasard fait (presque) toujours bien les choses, le club qui nous accueille propose dans la foulée un stage 100% épaves. La période est parfaite, suffisamment éloignée de la rentrée scolaire pour que je puisse poser des congés et à bonne distance de mon passage de grade qui est prévu pour décembre.
Tout semblait donc parfait dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que j’apprenne que mon passage de grade est avancé de deux mois et demi et qu’il aura lieu 15 jours après mon retour seulement. Je passe donc mon mois de septembre à m’entraîner comme un malade pour rattraper mon retard et, lorsqu’arrive l’heure du départ, je suis complètement lessivé. Les 4 jours de plongée dans la réserve avec mon club me permettent néanmoins de me requinquer. L’ambiance est excellente, les plongées exceptionnelles et l’arrière-saison est juste sublime. Il fait un temps magnifique, l’eau est encore chaude, la visibilité extraordinaire et le courant quasi inexistant. Ayant appris à consommer peu d’air, nous profitons des sites jusqu’à la dernière seconde impartie et remontons souvent à 60 minutes pile avec un léger regret de ne pas avoir pu faire durer encore un peu. Certes, j’ai encore noyé un appareil photo lors de la quatrième plongée, bien sûr j’en aurais pleuré, mais en tout état de cause, cela n’a pas suffi à gâcher ces quatre premiers jours de plongée.
Puis le séjour « club » se termine et nous entrons dans le stage épave, que nous attendions tant. Je suis néanmoins un peu préoccupé par les prévisions météo qui annoncent des conditions difficiles des le lundi. La suite nous prouvera que « difficile » était un doux euphémisme.
J1 : ça passe encore
Lundi matin. Au moment de quitter le port, le responsable du stage nous annonce que le vent d’Est arrive sur nous et que nous allons tenter aujourd’hui de faire l’épave du Rubis avant que les conditions ne se détériorent. Le Rubis est un sous-marin et des épaves de sous-marins, il n’y en a pas beaucoup. Surtout dans cet état. Ça commence donc très fort. Comme elle n’est pas très profonde, nous décidons de ne pas emporter de bouteille d’oxygène pur et de faire nos paliers à l’air. Cela raccourcira un petit peu notre temps de plongée mais nous devrions avoir le temps d’en profiter. L’arrivée sur l’épave est un choc. J’ai du mal à réaliser ce que je vois. Je suis un peu frustré de ne pouvoir prendre de photos mais j’imprime les images sur mes rétines. Posé en équilibre à quelques mètres du flanc du sous-marin, nous regardons évoluer deux énormes mérous qui tournent autour du kiosque et nous nous arrachons de la profondeur à contrecœur, conscients que nous sommes des privilégiés.
Une fois à bord du bateau, nous essayons de mettre des mots sur ce que nous avons vu et nous sommes en pleine effervescence lorsque j’entends que, cet après-midi, nous allons faire route vers la barge aux congres. Je n’en crois pas mes oreilles. Cette petite épave, reposant sur un fond de plus de cinquante mètres ne présente pas le moindre intérêt en dehors des dizaines de congres qui y ont élu domicile depuis des lustres. Les esprits chagrins répètent à l’envie qu’il n’y a plus de congres depuis longtemps et que cette plongée ne sert à rien. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que cette épave, ça fait plus de 20 ans que je rêve de la faire. J’aurais pu faire l’aller-retour de Paris juste pour ça. Lorsque j’ai plongé pour la première fois à Port Cros, en 1995, j’avais discuté sur le bateau avec je ne sais plus qui de je ne sais plus quoi et il n’est resté de cette conversation que ce nom, la barge aux congres. À l’époque je ne savais ni ce qu’était une barge, ni ce qu’était un congre.
Je l’ai idéalisée cette épave, c’est indéniable, mais maintenant que j’ai plongé dessus, je peux l’affirmer, elle est aussi extraordinaire que je me l’étais imaginée. Côté ferraille, je confirme, circulez, y’a rien à voir. Mais des congres mes amis, y’en a à plus savoir où poser ses yeux. J’en ai compté jusqu’à 8 visibles sous la proue dont un qui doit être là depuis le naufrage du bateau tellement il est énorme. Enfin, je dis ça, je n’ai pas la moindre idée de la durée de vie d’un congre mais quoi qu’il en soit, celui-ci était incroyablement gros. La plongée, évidemment trop courte, se passe merveilleusement bien. Nous avons emporté sous l’eau une bouteille d’oxygène pur qui nous permet de déssaturer beaucoup plus vite, d’augmenter notre quantité de gaz disponible (et donc d’ajouter de la sécurité à la plongée) mais aussi, cerise sur le gâteau, de limiter énormément la fatigue, ce qui n’est pas du luxe (enfin si, ça coute une blinde). C’est d’autant plus important que je dois être en pleine forme dès mon retour à Paris pour reprendre l’entraînement de vovinam.
Le retour est éprouvant. Le vent s’est levé et à force de me tenir de toutes mes forces pour éviter de valdinguer, la tendinite de ma maudite épaule s’est réveillée. Je crains même à un moment qu’une bulle d’azote se soit coincée quelque part tant la douleur est violente. Arrivé à terre, je file à la pharmacie acheter des anti-inflammatoires et, ayant le nez fin, des antihistaminiques pour le cas où, ayant ressenti plusieurs fois en plongée des petits picotements au nez annonciateurs d’allergies et d’enquiquinements.
J2 : bienvenue en enfer
Le lendemain matin, nous avons basculé dans un autre monde. Météo France a placé le Var en vigilance orange. La météo marine annonce un avis de grand frais sur le bassin méditerranéen et des vents en rafale à 80km/h. Nous sommes à 7/8 sur l’échelle de Beaufort et la mer est annoncée comme forte. Eh oui, en une semaine, je suis devenu incollable sur la météo marine. Le vent d’Est en Méditerranée, c’est une vraie saloperie. La météo annonce un forcissement pour les jours à venir, la seule solution pour nous poser sur de la ferraille est d’aller vers Cavalaire (plein Est et donc face aux vagues) car y git, dans une anse protégée, l’épave d’un cargo, le Togo. Le vent souffle à décorner les bœufs. Un plongeur glisse à son binôme : « nous avec ce temps-là, on ne sort pas » et quand on a dit qu’il s’agit d’un marin pêcheur de Royan, on a tout dit. Le moteur du bateau ne veut pas y aller non plus, il rejette de l’huile et nous restons près de trois quart d’heure à quai pendant que le mécanicien révise la bête. Je suis fatigué, j’ai mal à l’épaule, tous les voyants sont au rouge. J’en arrive à espérer que la sortie va être annulée et j’hésite à annoncer que je ne monte pas à bord. Puis tout va vite, le bateau est réparé, tout le monde embarque et je suis le mouvement sans réfléchir.
L’heure qui va suivre sera probablement l’une des pires de ma vie. Après une demi-heure de lutte pour rester maître de la situation, je manque de tourner de l’œil et l’un des moniteurs du club m’escorte jusqu’à l’arrière du bateau. Je suis une véritable loque, je donnerai n’importe quoi pour que ça s’arrête. La mer est complètement démontée, à chaque vague j’ai l’impression que le bateau va se briser. Nous faisons face à des creux de plusieurs mètres et même si le pilote navigue avec maestria, c’est un véritable cauchemar.
Lorsque nous arrivons sur le site, je suis verdâtre, frigorifié et je peux à peine bouger mon épaule. Je prends la seule décision sage à prendre, je ne descends pas. En 20 ans, c’est la première fois que je ne plonge pas une fois arrivé sur site. Lorsqu’une heure et demi plus tard nous débarquons enfin à Cavalaire, je prends la décision de ne plus remettre un pied sur ce bateau. Ni les encouragements de mes potes, ni le fabuleux resto où nous mangeons, ni l’assurance que le retour, avec le vent dans le dos, sera une promenade de santé, ne parviennent à me convaincre. C’est en bus que je rentre au Lavandou, vaseux, fatigué, ne pouvant même pas fermer les yeux au risque de voir encore la mer bouger dans ma tête. Horrible.
j3 : jour de pause à la Gabinière
Ce matin, le club nous propose d’aller nous mettre à l’abri derrière la Gabinière dans la réserve de Port Cros et de passer la journée là-bas pour limiter la navigation. Je suis à peu près requinqué et j’embarque sans enthousiasme mais sans crainte. Le voyage aller se passe bien et je peux plonger sans problème. La visi est médiocre, il y a beaucoup de poissons mais pas de magie. C’est sympa et je suis content d’être dans l’eau mais je serai tout aussi bien sur mon vélo ou dans mon canapé.
Je profite de la pause-déjeuner sur l’île pour expérimenter une nouvelle forme de torture, dite de la guêpe coincée dans la sandale. Lorsqu’elle pique juste sous la phalange du petit orteil, et d’autant plus quand on est (un peu) allergique et (très) douillet, c’est divin. Je manque à nouveau de tourner de l’œil et regagne le bateau en claudiquant, gavé d’antihistaminique. J’obtiens en récompense de ma bravoure le surnom de « chat noir » qui me suivra jusqu’à la fin de la semaine. La douleur s’estompe au contact de l’eau froide et je peux malgré tout faire ma seconde plongée, par ailleurs tout aussi oubliable que la première. À peine rentré au bungalow, la douleur réapparait, plus violente, plus sournoise et je commence à envisager un retour anticipé dans mes peinâtes. Seul avantage, j’ai tellement mal au pied que j’en oublie ma douleur à l’épaule.
J4 : retour en enfer
Le lendemain matin, après deux jours de folie, le vent est tombé d’un coup mais la mer est toujours aussi formée. Le pilote du bateau m’affirme que ça sera bien moins pire que mardi et je le crois. J’ai tort. C’est pire. Il n’y a plus de vent, certes, mais nous faisons face à des creux de 4 mètres. Nous prendrons même une vague « scélérate » qui me fera croire à un moment donné que le bateau va se retourner. M’étant auto-hypnotisé et convaincu qu’aujourd’hui tout irait bien, je prends sur moi. Bien positionné dès le départ debout à l’arrière du bateau et décidé à plonger quoi qu’il se passe, je subis la traversée dans des conditions acceptables. Arrivé sur l’épave du Togo, que mes potes ont déjà fait deux fois le mardi, je m’équipe rapidement et me mets à l’eau sans réfléchir. Comme l’épave est profonde, nous descendons très vite, en moins d’une minute et j’arrive au fond complétement tarté. Je mets quelques minutes à reprendre mes esprits et à profiter enfin de la promenade. Nous visitons les cales, les salles des machines, sortons par la cheminée mais dans ce méandre, je ne parviens pas à comprendre comment est foutu le bateau. Faudra revenir. L’O2 nous permet de limiter les paliers mais j’ai froid, et c’est en tremblant comme une feuille que je remonte sur le bateau. Je vois déjà les non plongeurs parmi vous se poser la question : « mais où est le plaisir ? ». Joker.
Nous faisons escale à Cavalaire et retournons dans notre super resto, mais en sortant, je suis toujours vaseux et je n’ai pas, mais alors pas du tout envie de plonger. Je retourne penaud vers mon arrêt de bus et rentre à nouveau par la terre. Je boucle mes bagages, hésitant encore à rentrer ou à tenter la plongée du lendemain matin.
Dernier jour
Nous sommes vendredi, le séjour touche à sa fin. J’ai déjà raté 3 plongées sur 8. Il pleut averse, il fait froid et j’ai passé une nuit épouvantable. Les moustiques, omniprésents depuis le début de la semaine ont fait un massacre. À cet inconfort auquel nous commencions à nous habituer, il a fallu ajouter la pluie, torrentielle, qui fera d’ailleurs des dégâts considérables dans les jours qui suivront notre départ. Le confort de notre hébergement est précaire. La gouttière s’écoule directement sur notre terrasse avec un bruit de clapotis assez insupportable. Un bon point malgré tout, il est tombé tellement d’eau que la pluie a plaqué la mer qui est désormais d’huile. Les affaires reprennent.
Nous faisons route vers le Grec, un cargo posé bien droit sur un fond de sable à -50 mètres. Le voyage se fait sans encombre et nous sommes les premiers à nous mettre à l’eau. La visi est bonne et l’épave apparait, magnifique. Au moment de me stabiliser, je me rends compte que j’ai oublié de brancher mon direct-system et je suis donc incapable de gonfler mon gilet. Petite sueur froide. Je reste zen et me tracte à la force des palmes sur le haut de l’épave puis reste posé là jusqu’à ce que mon binôme arrive et me remette tout ça en ordre (merci JP).
La visite est un régal, nous nous baladons dans l’épave, prenant bien le temps de la découvrir. Il n’y a pas un gramme de courant, ce qui est rarissime sur le Grec. Les conditions sont juste parfaites et nous mettons un temps fou à remonter, profitant de chaque nouveau mètre pour voir l’épave du dessus sous des angles différents. Magique. L’O2 nous permet d’effacer près de 10 minutes de palier, ce qui rend la plongée confortable de bout en bout. Nous ressortons de là comblés, enfin heureux et, pour ma part, ravi de ne pas avoir pris la décision de partir.
L’après-midi, il nous faut absolument un happy end et ça sera le Donator, la plongée mythique du coin. Il n’est pas vraiment possible de faire toute l’épave en une plongée. Nous décidons donc de plonger sur l’avant et d’y rester.
Le Donator repose bien à plat sur un fond de sable à -50 mètres de profondeur. Nous rentrons directement dans la cale avant. Et là, c’est l’apothéose. Le nez du cargo a sauté sur une mine. Il y a donc un trou béant en forme de cercle. Cette ouverture donne sur ce qu’il reste de la proue, posée sur du sable blanc avec, par effet de contraste, une eau bleu paquet de gitane. Et devant nous, un ballet de sars, de mérous et de barracudas. Lorsque je raconterai ça au patron du club à mon retour sur le bateau, il me confiera que lorsqu’il « fait » le Donator, il peut passer 19 minutes sur les 20 que durent la plongée, posé dans la cale avant, à regarder le « cinémascope ». Un vrai spectacle, parfaitement réglé, comme si un type était chargé d’envoyer les mérous et les barracudas une fois que les plongeurs sont bien installés.
Alors est-ce que ça valait le coup ? Pour ces quelques minutes là, assurément ! Et est-ce qu’on m’y reprendra ? Tout le monde connait la réponse 😉
© crédit photos : Miklc
© illustrations : avec l’aimable autorisation d’Olivier Brichet que j’en profite pour remercier chaleureusement.