Triathlon de Paris – Sprint 2019

Je vais plutôt vous le prendre en taille S

Maintenant que l’ascenseur émotionnel a fini ses aller-retours et que j’ai à peu près repris mes esprits, se pose à moi la question de savoir comment je vais bien pouvoir vous le raconter ce triathlon de Paris. Généralement, l’autodérision fonctionne bien pour narrer mes fins de courses laborieuses mais comment raconter cette aventure là sans tomber dans l’autosatisfaction béate ? Car disons-le franchement, ce triathlon, je l’ai déchiré ! Ce récit, je ne l’ai même pas commencé qu’il empeste déjà la testostérone.

Il faut savoir que ça fait un paquet d’années que je louche sur le triathlon de Paris avec plus ou moins d’insistance mais j’ai longtemps pensé que le format était un peu trop costaud pour moi. Pour le piètre nageur que je suis, 1,5 km de natation, c’était difficilement concevable. Les 40 km de vélo à bloc, compliqués. Et les 10 km de course à pied derrière avec les jambes en bois, encore plus. Ces distances correspondent au format olympique ou plus simplement le format M depuis que les triathlons ont pris des noms de tee-shirt.

De plus, il tombe toujours le même week-end que les 24 heures du Mans roller. Lorsqu’en 2013 la préfecture de Paris condamne à mort ce triathlon en interdisant la baignade dans la Seine, je me souviens très bien d’avoir été rempli de regrets. Lorsque il renait de ses cendres quelques années après, j’ai recommence à loucher dessus en me disant que quand même, ce serait un truc de fou d’arriver à enchaîner tout ça. Et chaque année, je retourne au Mans.

L’an dernier cependant, après avoir failli laisser ma peau sur le circuit Bugatti, je prends la décision de ne pas y retourner et dans la foulée, me fixe un an pour apprendre à nager le crawl et m’affuter pour le triathlon. Je perds 6 kilos, me mets à nager deux fois par semaine, m’entraîne sérieusement en course à pied, parviens à nouveau à courir le Paris-Versailles en moins d’une heure trente, explose mon temps sur la course des 4 châteaux, reprends sérieusement le vovinam et marche 10 km par jour, fixé sur mon objectif.

Cette année c’est la bonne ! Ou presque.

Je m’essaye sur un triathlon XS en octobre qui se déroule à merveille et je continue à dérouler mon programme. Tout est planifié : Marathon de Paris en avril, Triathlon S de Versailles en mai puis fin juin le triathlon M de Paris. Enfin.

Au final, rien ne s’est passé comme prévu. Passons les détails mais disons que 2019 aura vraiment été une année de merde. Forfait sur le marathon de Paris, incapable de courir pendant 4 mois, quasi abandon du vovinam, reprise des 6 kilos péniblement perdus et me revoilà au point de départ.

J’avais quasiment abandonné l’idée lorsque j’apprends que pour la première année depuis sa création, le triathlon de Paris va proposer un format intermédiaire entre le M pour lequel je ne suis pas prêt et le XS qui est un peu court. Le S aussi appelé le sprint. Les affaires reprennent. Seulement 500 mètres de nage, 20 km de vélo et 5 de course à pied. Ça ira. Enfin j’espère.

Petit mais costaud

15 jours avant le triathlon, je teste la nage en eau libre dans le bassin de la Villette et me rassure largement. Le vélo n’est pas un problème et pour la course à pied, même trop court et trop lourd, 5 km, en serrant les dents, ça ira. Quant aux transitions ; et bien on verra bien.

Je file ensuite à Marseille pour valider mon niveau 1 de plongeur biologiste avec une sinusite carabinée et une belle otite (quand ça veut pas). Je plonge donc moins que prévu et profite de mon temps libre pour marcher et courir dans les calanques et surtout me reposer. Faire du jus comme on dit.

De retour à Paris, je subis comme tout le monde la canicule et réduis mon entrainement à minima (quelques km de vélo pour aller bosser et un peu de piscine).

Je me suis un peu équipé mais pas trop. Une combi et une trifonction d’entrées de gamme Décathlon et mon vélo de tous les jours que je désosse la veille pour lui faire perdre du poids. Ça ne compensera pas les rondeurs du cycliste mais c’est toujours ça de pris.

Je m’envoie des dizaines de vidéos de conseils pour les transitions, passe une dernière nuit exécrable puis me pointe sur les lieux vers 7h du matin pour installer tout mon petit bazar.

Je quitte le parc à vélo, pied nus, moulé dans ma trifonction en direction du départ de la nage qui est prévu 2 heures plus tard. Je m’assois au bord du canal, les pieds dans l’eau et rêvasse jusqu’à 9h moins le quart avant de rejoindre mon sas de départ.

C’est parti

À 9h pile le départ est donné au fil de l’eau. Je me suis placé au fond de mon sas pour ne pas être enquiquiné. Nous avons appris quelques jours avant que les combinaisons seraient interdites car l’eau dépasse les 24,5 degrés réglementaires. Les mauvais nageurs comme moi vont être pénalisés. C’est comme ça. Je saute à l’eau et avant même d’avoir refait surface, je me prends un balourd qui visiblement ne m’avait pas vu sur la tronche. Ça me mets hors de moi et je pars en trombe prêt à en découdre. Pendant environ 100 mètres, ça se passe bien, nous sommes entre nous et globalement, on a de la place. Mais après la bouée, nous retrouvons les nageurs du M qui eux sont partis 1 km en amont. La plupart sont rincés et nagent la brasse. Nous on pète le feu et on nage en crawl. Les triathlètes appellent ça la machine à laver, moi je dirais que c’était plutôt un mélange de bataille rangée et de catch aquatique.  Les brasseurs filent des coups de talons sur les côtés. Pour passer pas le choix, il faut piocher ou grimper par-dessus. J’ai honte de l’avouer mais je ne me suis pas reconnu. Une vraie hyène en furie prête à tous les noyer pour passer. Une boucherie. Je ressors de là avec des marques sur les bras comme je ne m’en suis jamais faîtes en 15 ans de vovinam.

J’attrape les escaliers et me hisse hors de l’eau puis commence à trotter puis courir vers le parc à vélo qui est à presque 500 mètres de là. J’avais méthodiquement repéré mon emplacement et pris plusieurs repères mais en arrivant à ce que je crois être mon emplacement je ne vois pas mon vélo. Moment de panique, je perds 30 secondes (et donc 30 places) à tourner en rond comme un benêt avant de réagir et de compter les emplacements. Je retrouve mon vélo et m’équipe assez vite mais perds un peu de temps à enfiler chaussettes et gants puis trotte jusqu’à la sortie du parc. Je grimpe sur le biclou et perds encore quelques secondes (et quelques places) à glisser mes pieds dans les cale-pieds. Je ne suis pas content de ma transition mais la nage ne m’a pas entamé du tout et je pète le feu.

C’est re parti

Mon vélo pèse 3,2 kg de moins que d’habitude. C’est un avion de chasse. Je commence à rouler et suis surpris de doubler assez facilement tous les cyclistes qui m’entourent. J’accélère et en double encore et encore. Je monte encore le tempo pour arriver à mon rythme de croisière habituel sur le plat, à savoir à un peu plus de 30 km/h et je continue à doubler. Depuis que je suis sur le vélo, pas un seul cycliste ne m’a passé. Je monte un peu plus le rythme, il n’y a pas de vent, pas de feu, pas de circulation, pas d’obstacle à part les autres cyclistes qui n’avancent pas. « à droite s’il vous plait » comme quand je remontais la rando roller le vendredi soir. Ça se pousse, je remercie et je file à toute allure sans la moindre difficulté. Je connais les routes par cœur, je sais exactement quand ça monte et passe mes rapports sans même y penser puis je passe sur le plus gros braquet et pousse un peu pour rattraper un petit peloton de 4 cyclistes qui vient de me doubler. Je me cale derrière et me laisse trainer puis à chaque fois qu’un petit groupe me double, je monte le rythme pour les suivre. Je commence à sentir que je force un peu mais ça reste facile.

Mon Croix-de-Fer aux pneus larges réagit à la perfection et son cadre acier restitue tous mes efforts, j’ai l’impression d’être invulnérable. Arrivé à la Concorde nous faisons demi-tour et nous dirigeons vers le tunnel abandonné que j’emprunte plusieurs fois par mois. Un cycliste qui roule un poil plus vite que moi a décroché du petit peloton et monte le rythme. Je prends sa roue pendant deux ou trois minutes et souffle. Juste avant le tunnel je fais l’effort pour passer devant et l’emmener mais il ne veut pas et me repasse devant. Qu’à cela ne tienne, je suce sa roue sans la moindre vergogne et le suis ainsi pendant plusieurs kilomètres. Il finit par me semer mais ça sera bien le seul à y parvenir. J’ai doublé des centaines de vélos et dans l’euphorie, je continue à essayer de monter le rythme. Arrivée à moins d’un km de la Villette, je sens deux micros crampes dans mes jambes. Je baisse légèrement le rythme et me fait reprendre par des courseux que je ne reverrai jamais. Ça freine, puis ça bouchonne. J’entends un type derrière qui braille « descendez maintenant ». je m’exécute et dois zigzaguer au milieu d’un paquet de gugus qui n’avancent pas et fonce vers mon emplacement. Je découvre éberlué que le parc à vélo du sprint est quasi vide. Je suis donc dans les premiers. C’est ouf. Je me débarrasse de mon vélo et pars en trottant vers la sortie du parc.

C’est re re parti

Mais voilà, courir après tout ça, c’est dur. Très. La chaleur commence à revenir et le soleil est sorti. J’ai vidé ma gourde en descendant du vélo mais je suis essoufflé et assoiffé. Le parcours nous fait emprunter une passerelle et courir dans les escalier me cisaille les jambes. J’arrive péniblement à me caler à 11 km/h mais c’est vraiment compliqué. Je me fais doubler pas mal mais c’est moins spectaculaire que sur le vélo. J’ai un peu l’impression de trainer ma tonne sur mes pieds et avec cette petite trifonction qui me boudine de partout, c’est pas joli joli. J’ai beau me dire que ce n’est que 5 minuscules kilomètres, chaque mètre me pèse. Je perds du temps au ravito car je me rends compte que je n’ai rien avalé depuis des heures. Je me re sucre puis repars mais je continue à perdre des places. Je trouve un fond de force pour maintenir cette allure mais je n’arrive pas à me pousser aux fesses. J’ai très envie de mettre un dernier coup d’accélérateur mais je n’y arrive que lorsque l’arche est en vue. Je double une dizaine de coureurs sans conviction puis passe la ligne.

1h30’56. Je regarde ma montre incrédule. J’avais estimé à la louche qu’en faisant au mieux du mieux dans chaque sport et en faisant des transitions correctes, je pouvais au espérer faire 1h30. Je sais que j’ai bien nagé, je sais que j’ai fait la course de ma vie en vélo et que j’ai limité la casse en course à pied mais je n’ai pas la moindre idée de mon classement. La médaille est magnifique, le tee-shirt aussi, je suis sur un nuage. J’ai autour du cou la médaille de finisher du triathlon de Paris. Certes pas celui auquel je pensais mais le format sprint me convient parfaitement. J’ai adoré ça et je n’ai qu’une envie c’est de recommencer. Et de connaître mon classement.

Pour moi qui ai quand même fini avant-dernier de plusieurs trails, être dans la première moitié du classement serait déjà vachement bien. Le verdict tombe dans l’après-midi et c’est le choc.  Je suis 265e sur 1252 et 35e vétéran sur 186. Je me suis même offert le 138e temps en vélo avec mon gravel sans pédales automatiques et mes pneus larges. J’ai roulé 21 km à une moyenne de plus de 33 km/h. C’est, et de loin, mon meilleur classement toutes catégories confondues.

Alors une chose est sûre l’an prochain, ça sera à nouveau le sprint ou enfin le M, avec ou sans combi, avec ou sans vélo de course, avec ou sans pneus slick mais une chose est sûre, je ne serai nulle part ailleurs !