Trail semi-nocturne à domicile
La Barjo, c’est le nom du trail qui se court sur la plus belle partie du Cotentin, dans la zone de la Hague. Les différentes courses empruntent des tronçons plus ou moins longs du GR 223, plus communément appelé chemin (ou sentier) des douaniers et qui relie Isigny au Mont Saint Michel, avant de devenir le GR34 pour la partie bretonne (qui est très jolie aussi, mais moins).
Pour ceux qui ne connaissent pas le Cotentin, à l’Est de Cherbourg, il y a Fermanville (et son viaduc) et, plus loin, Barfleur, Saint-Vaast-la-Hougue et l’île de Tatihou. C’est la que je cours chaque année ou presque la course du Run. La Barjo se court de l’autre côté, à l’extrême nord-ouest de la péninsule. Tristement célèbre pour son usine de retraitement des déchets nucléaires, on y trouve des paysages de toute beauté et notamment le nez de Jobourg, l’un des plus beaux endroits du monde. Cela dit sans chauvinisme aucun, n’étant Nord-Cotentinois que de cœur.
Cette Barjo, je lorgne dessus depuis qu’elle existe. Pas la Barjo complète (bien trop longue pour mes petites jambes) mais ses versions plus courtes et notamment le trail du port Racine qui malheureusement n’existe plus. Pour le remplacer, il y a cette année le trail du brin de folie. La distance est la même, 25km, mais toutes les Barjos sont désormais des boucles qui partent et arrivent de Beaumont-Hague. Fini le bal de navettes qui emmènent les coureurs aux différents points de départ.
Cette année, covid oblige, la course est décalée de juin à septembre et pour la première fois en dix ans, je suis libre ce week-end-là. Pile un mois avant le marathon de Paris, ce n’est pas ultra raisonnable car avec près de 850 mètres de D+ et une seconde moitié de course qui se court de nuit à la frontale, cette course n’est pas vraiment une balade champêtre tranquille mais l’envie est trop forte et me voilà donc inscrit et pressé d’en découdre.
Passons vite sur le stress de n’avoir jamais reçu le dossard par courrier, de découvrir la veille qu’il me manque une partie du matériel obligatoire et l’oubli des épingles à nourrice qui m’oblige à bricoler un truc moche avec des agrafes et le lacet de mon short, car ce ne sont là que les vicissitudes banales d’un sportif amateur étourdi. Je pénètre dans le sas avec une énorme envie, heureux comme rarement de prendre le départ d’une course.
C’est parti
En théorie, je ne suis pas en mode compétition mais en mode sortie longue préparatoire au marathon. Objectif, ne surtout pas monter dans les tours, ne pas me cramer, être capable de recourir dès mardi. Il y a quelques mois, j’ai mis 3h36 pour boucler les 30 km de l’écotrail de Paris. Aujourd’hui, il y a 5 km de moins mais plus de dénivelé et surtout une grosse heure prévue dans le noir complet sur le sentier des douaniers dont certaines parties sont déjà bien casse-gueule de jour. Le départ est à 19h, le feu d’artifice à 22h30, je me fixe donc de faire un temps à peu près équivalent et idéalement d’arriver en forme sous le feu d’artifice parce que quand même ça aurait sacrément de la gueule.
Voilà pour la théorie. En pratique, j’ai les jambes des bons jours, la pluie annoncée n’est pas là, il fait un temps parfait et je m’élance comme un dératé, bien dans mes baskets. Et heureusement car derrière moi, le gros du peloton se retrouve dans un entonnoir et ça bouchonne alors que le groupe dans lequel je me suis calé déroule d’un bon pas. La première partie est très roulante. Je suis tout de suite dans ma course, je me fais peu doubler et j’avale les 4 premiers kilomètres assez rapidement. Dans mon dos, un coureur dit à son pote d’accélérer pour arriver rapidement à la côte avant que ça soit bouché. Je ne sais pas de quoi il parle mais ça à l’air super alors je m’accroche à eux. Au loin je vois une ligne ininterrompue de coureurs, les uns derrière les autres en train de monter une pente assez impressionnante. C’est la côte des Fougères, une pente à près de 30% sur 170 mètres. C’est visiblement la côte célèbre du coin. Je la grimpe sans grande difficulté mais il est vrai qu’après ça, pour relancer, ça pique un peu. Une fois sortie de cette ascension, le parcours redevient très roulant. On alterne bitume et chemins stabilisés assez larges.
Le soleil commence à se coucher, c’est beau à se damner. Je me sens merveilleusement bien, tellement content d’être là dans cette région que j’aime par-dessus tout, dans des conditions de courses parfaites, super en forme. Les kilomètres défilent et j’arrive au nez de Jobourg à la tombée du soir. Après un stop de 15 secondes au ravito, j’allume ma frontale et attaque le chemin des douaniers. Je m’autorise un coup d’œil furtif à la côte, le spectacle du nez qui se jette dans une mer d’huile est sublime mais je ne m’attarde pas car maintenant, on rentre dans une autre course. J’ai mis 1h30 pour parcourir tranquillement les 14 premiers kilomètres mais je sais déjà que les 8 prochains ne vont pas être une sinécure.
Dans la nuit noire…
Moins d’une minute après m’être engagé sur le sentier, je glisse sur la terre battue, manque de perdre l’équilibre, me rattrape comme je peux, m’écorche sur les épineux, et relance au prix d’un effort supplémentaire et couteux. L’heure et demi qui va suivre, sera ponctuée d’une bonne trentaine de moments de ce type, trébuchant dans les cailloux, glissant dans les descentes, me prenant les pieds dans des racines, des pierres voire dans mes propres pieds. Exténuant pour un pauvre Parisien qui n’a pas couru à la frontale depuis 10 ans. La fatigue s’est désormais installée et à chaque fois, l’effort à fournir pour compenser la perte d’équilibre me coute un peu plus d’énergie et quelques fibres musculaires. Je suis fourbu mais au lieu de lâcher prise comme je m’étais promis de le faire si ça devenait trop dur, je m’acharne à vouloir relancer. C’est payant car derrière il n’y a plus personne. Je suis dans le noir complet et les premières lampes sont très loin derrière. Parfois je me demande même si je ne me suis pas trompé de chemin. Je me surprends à penser aux coureurs d’ultra pour qui il est banal de passer une nuit entière à courir ainsi dans le noir. Je ne les envie absolument pas car pour moi ça durera un peu plus d’une heure et soyons clair, une heure de plus aurait été une heure de trop.
Je parviens à maintenir ma position, ne me faisant reprendre que par trois ou quatre coureurs et en reprenant autant. J’en sors bien entamé mais encore capable de courir. Un panneau indique qu’il reste 3 km. J’ai réussi à rejoindre un petit groupe de 5 coureurs. Il est 21h50. Je tente de me faire des amis et lance à la cantonade qu’on devrait arriver à temps pour le feu d’artifice. C’est un bide. Je réussi à les accrocher 1 minute mais à peine engagé dans la montée des pierres, ils me distancent assez facilement et je me retrouve à nouveau seul au monde. Il faut dire que cette fichue côtes est assez atroce. Presqu’un kilomètre à 12% avec des portions vraiment raides. Interminable. Je finis par en finir puis après quelques virages, je commence à entendre les haut-parleurs du village d’arrivée.
Sauf que rien n’est facile sur cette course et après avoir été bien ralenti dans un champ herbeux humide, on se retrouve dans une véritable tourbière. Et là franchement, la boue qui colle, après 3 plombes de cavale, c’est vraiment le truc en trop. Ça me permet cependant de gagner quelques places car plusieurs coureurs semblent avoir renoncé. Finalement après avoir un peu pataugé et laissé mes dernières forces dans la bataille, j’arrive sur la petite route bitumée qui mène à l’arrivée. Ça monte un peu mais il y a des dizaines de personnes qui hurlent des encouragements. Le public, omniprésent tout le long du parcours m’aura beaucoup aidé à ne pas lâcher. J’accélère nettement et après deux dernières minutes d’effort, je passe la ligne libératrice après 3h16 de course et même si je rate de peu la première moitié du classement en arrivant 252e sur 485, je m’en satisfait totalement.
Épilogue
Un quart d’heure plus tard, Le feu d’artifice est tiré avec la mer comme toile de fond. C’est mon premier feu d’artifice depuis 2 ans, le public nombreux et joyeux assiste au spectacle, je porte mon joli tee-shirt de finisher, planté sur la pelouse, les yeux rivés sur le ciel enflammé, un sourire immense de gosse accroché aux lèvres et c’est juste bien.
© crédit photo : Normandie course à pied (que je remercie)