Paris-Versailles 2024

Peut-on battre à 50 balais un record vieux de 13 ans ?

Dimanche, j’ai couru mon 10e Paris-Versailles en 15 ans. Ça ne nous rajeunit pas. La première fois, c’était en 2009 donc, et c’était drôlement bien. Je m’étais fixé un objectif ambitieux pour mon niveau de l’époque (moins d’1h30) et j’avais passé la ligne en 1h29’18. Je garde un souvenir vivace de la joie que j’avais ressenti en passant la ligne. J’ai souvent cherché à ré éprouver la même sensation. C’est arrivé quelques fois depuis, mais pas souvent.

L’année suivante, j’améliore la marque de 3 minutes (1h26’10) et l’année d’après, je passe sous la barre des 1h26 en établissant mon nouveau record personnel (1h25’55) sur cette course mythique. Record qui allait tenir 13 ans. Jusqu’à dimanche donc.

Mais attardons-nous un peu sur 2011. J’avais couru Paris-Versailles sans m’y être particulièrement préparé. J’avais récupéré quelques jours avant la course le dossard d’une copine qui s’était blessée sur une course d’obstacles qu’on avait couru ensemble au stade de France. Je me préparais surtout pour courir mon premier marathon. Je m’entraînais beaucoup mais le marathon s’est mal passé. J’avais terminé en lambeaux et ça m’avait dégouté de la course à pied. Je continuais à courir mais sans entrain, sans régularité, en dilettante. Je n’ai recouru Paris-Versailles qu’en 2014, sans réel engagement et j’avais fait un temps catastrophique (1h34). J’ai même réussi à faire pire en 2017 (1h38). En 2016 et 2019 je me satisfaisais de repasser tout juste sous les 1h30 comme à mes débuts. Mais sans enthousiasme et sans joie intense.

Puis vient le confinement, entrainant une reprise en main complète du bonhomme, l’arrêt des arts martiaux trop accaparants et le passage à 4 séances de course par semaine. Mes vieux records sur toutes les distances tombent un par un  à l’exception notable de celui du Paris-Versailles qui me résiste. En 2022 je me rapproche de mon niveau de la décennie précédente (1h26’52) et l’an dernier, j’améliore encore la marque avec 1h26’36 mais le record reste loin. L’an dernier justement, mon pote Séb me double à 2 km de l’arrivée et propose de me tirer mais je manque de jus (ou de mental) pour tenter le suivre. Dommage.

PV2024

Cette année, je fais le voyage vers le Trocadéro avec Tom. Celui-là même que j’essaye de convaincre depuis 15 ans de me suivre sur mes courses en lui prédisant à chaque fois qu’il lui suffirait de s’entrainer un tout petit peu pour me mettre 10 minutes à chaque fois. Ces derniers mois, je sentais bien que j’allais enfin y arriver. De 1 course tous les 6 ans, on est passé à une course tous les 6 mois. Je l’ai inscrit sans le prévenir à la Pyrénéenne qu’il a couru en footing pendant que moi je donnais tout ce que j’avais et il a fini 10 secondes derrière moi sans une goutte de sueur. J’ai aussi réussi à le trainer sur un Ekkiden où il a, finger in the nooze, couru ses 5 km à une vitesse que je suis incapable de tenir plus de 10 minutes et j’ai enfin réussi à le convaincre de postuler pour un dossard et de s’entrainer un peu proprement pour s’y préparer.

Me voilà donc propulsé coach de running et cette nouvelle responsabilité m’oblige. Je nous entraîne donc sérieusement et avec une assiduité absolue. Je sens bien lors de nos sorties « en côtes » du jeudi que le petit en a sous la semelle. Il récupère plus vite, relance plus vite, continue à plaisanter quand moi je dois arrêter de parler pour faire mon effort. Niant l’évidence, il se fixe de courir en moins d’1h40 alors qu’il a très clairement les 1h20 dans la semelle. Il est donc convenu qu’on fera chacun notre course et que le premier arrivé attendra l’autre.

C’est parti

On se dit donc au revoir sur la ligne et je pars avec mon plan de course bien en tête. J’ai découpé la course à 8 parties, chacune doit être courue d’une manière différente si je veux enfin battre mon record. J’attaque avec les 5 premiers kilomètres très plat voir légèrement descendant avec une seule difficulté, les tunnels. Je cours le plat à mon allure 10 km, ce qui est dangereux car la course en fait 16. Je temporise bien dans les tunnels et pour l’instant ça passe. Aujourd’hui, j’ai des jambes. J’ai bien géré la semaine de retour au calme, bien dormi, bien mangé, je suis hydraté et reposé, les conditions sont parfaites, sans chaleur, ni froid, ni pluie, ni soleil.

Le 6e kilo, j’ai prévu de le courir 5 à 10 secondes plus cool pour avoir de la fraicheur dans la montée. Finalement, je ne baisse l’allure que de quelques secondes et j’arrive enfin en bas de la côte des gardes pour le gros morceau. Cette côte est atroce. 3 parties séparées par de très courts replats. La première partie est la moins pentue mais la plus longue. La troisième est courte mais c’est un mur.

Pour les passer, je ne dois pas regarder ma montre, juste me concentrer sur mes sensations. Ça doit être difficile mais pas bloquant. Je dois sentir que ça pique mais pas au point d’avoir envie de marcher. C’est difficile à décrire mais j’ai pas mal grimpé ces derniers mois et j’arrive à bien doser. J’ai un très court passage à vide. Je choisis de marcher 5 secondes pour reprendre mes esprits et je relance très vite. La dernière partie est atroce mais je sais que si je lâche là, c’est terminé. Je ne lâche pas.

Puis c’en est fini de cette fichue côte. La partie qui suit est celle où j’ai le plus à perdre. Il faut absolument relancer. Je dois trouver ici mon allure semi-marathon mais je suis en difficulté. L’an dernier, c’est là que j’avais commencé à faire des mathématiques et que je m’étais perdu dans mes pensées en essayant de calculer mes allures. Cette année, je m’oblige à ne penser à rien et à rester focus sur mon allure et ma respiration sans me projeter, juste tenir jusqu’à la partie suivante, les descentes.

Ça y, ça descend enfin. Allez, j’envoie fort, j’arrive à équilibrer avec le temps perdu dans la forêt. Et les mauvaises habitudes revenant au galop, je repars pour une séance de calcul mental. J’ai mémorisé chaque portion du parcours et la vitesse à laquelle je dois les courir mais je n’ai pas fait de projection en temps de passage et je ne sais donc pas si je suis en avance ou en retard. Donc je calcule. Toutes mes simulations m’amènent à la même conclusion, si je n’explose pas dans la dernière côte, la terrible montée du cimetière, ça passe en moins d’1h26.

Profil de la course

J’y suis, c’est court mais infernal. Si je temporise, je vais perdre du temps. Si j’accélère, je risque d’exploser. Tant pis, je tente. Ça passe. Je suis à bout d’air en arrivant en haut mais les jambes répondent et je sais qu’après la côte je vais pouvoir souffler dans la descente.  Au lieu de souffler, je pousse encore. Je cours le 15e en 4’51. Une folie pour moi qui n’ai jamais fait mieux que 49 minutes sur 10 km plat. Mais ça passe. Y’a des jours comme ça.

Mikl

Je tourne et me voici enfin dans l’avenue de Paris pour la dernière partie. Je regarde ma montre, c’est tout bon. En poussant, je peux peut-être même descendre sous les 1h25 mais c’est dangereux. J’en suis là de mes hésitations quand je sens un bras m’enlacer. C’est Tom, tout guilleret qui après 14 bornes de footing a repéré ma tonsure enturbannée et ma démarche reconnaissable entre mille et s’est poussé un peu aux fesses pour me rattraper. Il m’incite à accélérer, il dit qu’il est cuit mais en rigolant sans même être essoufflé. On adopte un rythme proche de mon allure 10km. C’est dur mais on pousse, Tom ne parle presque plus, ça veut dire qu’on ne peut pas aller beaucoup plus vite.

À 200 mètres de la ligne, j’ai encore un fond de réservoir pour sprinter. Tom enquille. On passe la ligne ensemble en 1h25’10. Il a, sans surprise, fait 15 minutes de moins que ses prévisions. Moi, je bats mon record de 2011 de 40 secondes et je fais 1’20 de mieux que l’an dernier. Je lève les bras au ciel et revis l’émotion de 2009. Je suis sur mon petit nuage et je vois bien que Tom, qui répète à l’envie qu’il n’a pas l’esprit de compétition est bien content aussi. Nous sommes rejoints par Romain qui avec ses 1h09 après moins de deux ans de course à pied nous fait bien redescendre sur terre.

On parle du trail qu’on doit courir à Barbizon le dimanche suivant, on se projette sur le triathlon de Versailles, je me dis qu’il serait de temps de tenter les 48 minutes sur 10 km et qu’il y a encore bien des lignes d’arrivée à franchir et des tas de record à battre. La médaille est belle, la fête est belle et à 50 balais passés, j’en ai encore un peu sous le pied. Alors ça va. 🙂