Marathonien !

Marathon de Vincennes et des bords de Marne 2011

Un jour j’ai rencontré un éditeur qui, citant Compay Segundo, m’a dit qu’il y avait trois choses qu’il fallait avoir faites dans sa vie : « faire un enfant, écrire un livre et planter un arbre ». J’ai fait (avec l’aide inestimable de leur mère) deux enfants magnifiques, j’ai participé à l’écriture de plusieurs livres dont au moins un dont je suis immensément fier et j’ai  semé des graines, derrière la cour d’une école, dans la campagne cambodgienne. FatigueJe mesure aujourd’hui en écrivant ces lignes la chance que j’ai de vivre cette vie. Il  y a un peu plus de quatre ans, au cours de ma dernière mue, la plus spectaculaire, j’ai ajouté deux trois trucs à cette liste car j’ai compris qu’à part revenir de la mort, rien n’était impossible et que la vie était trop courte pour s’interdire quoi que se soit.

Je me garderais bien, par pure superstition, de vous dire ce qu’il y a sur cette liste mais je peux bien vous dire ce qu’il n’y a pas et ce qu’il n’y a plus. Il n’est pas écrit sur cette liste qu’il me semble important de posséder une Rolex avant mes 50 ans et il n’est plus écrit qu’il faut avoir couru un marathon. Je l’ai rayé mentalement de ma liste hier après-midi aux alentours de 14h en franchissant la ligne d’arrivée du marathon de Vincennes et des bords de Marne et ce, au prix d’efforts et de douleurs que je ne suis pas certain d’être capable de décrire tant ce fut difficile. Tous les superlatifs seraient vains pour décrire ce que beaucoup considèrent (à tort) comme un exploit. Assis à mon bureau, les jambes percluses de courbatures, je n’ai pas du tout l’impression d’avoir accompli un exploit, mais plutôt d’avoir fait le job, d’avoir rempli ma mission et je n’en éprouve bizarrement ni fierté, ni satisfaction.

Un marathon, c’est 42 km 195 qu’on essaye de courir le plus vite possible. Les meilleurs Kenyans avalent ça en deux heures et une poignée de minutes, les plus lents, sur des marathons populaires comme celui de New-York mettent plus de 6 ou 7 heures mais la plupart des coureurs amateurs dans mon genre bouclent la distance entre 3h30 et 4h30. Pour ma part avec des références en un peu moins de 2 heures sur semi et une endurance assez moyenne, j’étais censé pouvoir boucler la distance en 4h15. Et comme dirait l’autre, c’est quand même vachement long.

J’ai toujours su que je m’y frotterai un jour, mais j’ai longtemps reculé, arguant, à juste titre que ça n’était jamais le bon moment et puis j’ai fini par me lancer et je me suis inscrit au marathon de Vincennes. J’ai acheté plein de magazines, mixé plusieurs plans d’entrainements, suivi à la lettre les conseils des spécialistes et puis surtout j’ai suivi la devise des anciens, ceux qui courraient déjà le marathon avant l’invention des cardio-fréquencemètres : « de l’eau, du sucre, de la sueur ! » Je suis passé de 2 ou 3 séances à 4 séances hebdomadaires qu’il a fallu caser avec un chausse-pied dans un planning déjà complètement bouché par les entraînements de vovinam, j’ai fait à peu près gaffe à ce que je mangeais, j’ai beaucoup plus dormi que d’habitude et jusqu’au dernier moment j’ai cru pouvoir réussir à boucler le tout en moins de 4h30 en partant sur une base de 4h15 avec un petit quart d’heure de marge. Ça n’a pas marché. Mais ça n’est pas passé loin et pour tout dire, j’en ai tellement bavé que ça n’a plus la moindre importance.

Un marathon, ça se prépare. J’ai donc respecté les grands principes de l’exercice. 4 semaines de préparation générale suivies d’un plan d’entrainement spécifique de 8 semaines puis, pour finir, deux semaines de relâchement pour arriver en forme au marathon. Je me suis entraîné très sérieusement, je n’ai pas séché une seule séance et j’ai étonnamment bien encaissé les sorties longues, y compris les interminables balades de plus de deux heures que je me suis imposées chaque dimanche matin en fin de programme. La course test des 20km de Paris, il y a trois semaines, fut une promenade de santé et lorsque le programme a été bouclé, je me suis senti un peu vidé. Je n’ai pas su gérer les deux semaines de relâchement. J’ai laissé l’appréhension m’envahir, j’ai profité de cette masse de temps libre pour rattraper tout ce que j’avais laissé de côté et je suis arrivé au marathon fatigué.

Cours Marigny

L’enfer du dimanche

Ce dimanche matin, toutes les conditions sont réunies pour que la fête soit belle. Il fait un temps magnifique, une température idéale pour courir (12°C) et le soleil brille sans brûler.

Je retrouve Philippe et nous nous plaçons à la fin du peloton qui est étonnamment ténu. J’essaye de me détendre car je sens un poids sur mon estomac. Le départ est donné et nous partons tranquillement car les derniers participants du semi-marathon nous empêchent d’avancer, ce qui nous évite de prendre un départ trop rapide. Nous partons sur une base de 6 minutes au kilomètre qui doit nous permettre de passer la ligne entre 4h15 et 4h30. Philippe qui a déjà couru deux marathons en plus de 4h40 ayant accepté de se caler sur mon allure, c’est donc moi, comme sur les 20 km de Paris qui vais devoir réguler notre allure à tous les deux. Comme il y a trois semaines, nous avons du mal à nous ralentir et dans l’euphorie de cette belle matinée, nous avalons les dix premiers kilos un poil trop vite. Nous discutons et rigolons, ce qui avec le recul a du nous pomper un peu trop d’énergie car dès le 13e kilomètre, les premières traces de fatigue et les premières douleurs aux jambes font leur apparition.  Nous sommes sur les bords de Marne et le paysage est particulièrement agréable. Nous sommes désormais parfaitement calés à 6 minutes au kilo mais en ce qui me concerne, le mal est fait. Je sais déjà à ce moment là que ça va être sérieux, difficile et que mon nouvel objectif doit désormais être de passer l’arrivée sur mes jambes, la perspective d’une arrivée à la Julie Moss n’ayant à mes yeux aucun attrait.

Nous restons ainsi côte à côte mais je sens que Philippe, qui court naturellement plus vite que moi, a les jambes pour courir un poil au dessus mais je ne suis pas assez en forme pour chercher à le retenir à côté de moi ou pour le suivre. Il prend inexorablement ses distances même si je le rattrape aux ravitaillements. Au 20e kilomètre c’est moi qui le sème finalement et je rejoins des coureurs que j’avais en mire depuis près de 10 km. Nous nous calons sur un rythme qui me convient parfaitement. Philippe nous rejoint, nous dépasse et prend le large. Je ne le reverrai plus jusqu’à l’arrivée. Nous avançons ainsi sans se parler pendant près de trois kilomètres. Nous passons le semi-marathon en 2 heures et 6 minutes et au 23e kilo, nous sommes toujours parfaitement dans le tempo en 2 heures et 18 minutes. C’est alors qu’une crampe à la jambe me foudroie et je regarde avec dépit mes deux amis muets prendre le large à leur tour. Je stoppe aussitôt pour éviter que ça ne s’aggrave et je prends le temps de m’étirer pendant deux minutes avant de reprendre la course, très inquiet pour la suite.

Je respire. Après avoir élevé progressivement le tempo, je suis à nouveau au dessus des 10 km/h et je n’ai au final perdu que deux minutes sur le timing.

Au 28e kilomètre, le parcours devient très difficile avec des montées courtes mais cassantes et surtout des virages à 180° très éprouvants. Ça monte, ça descend, nous passons sur un pont puis en dessous puis à nouveau sur le pont pour repartir dans l’autre sens et ce, au plus mauvais moment, en pleine zone du fameux mur des 30 km.

parcours

Moi le mur, je me le suis mangé au 32e. Puis alors pas qu’un peu. Pleine face.

Alors que nous quittons la civilisation pour rentrer dans l’hippodrome, tout se déglingue. Nous passons sous des espèces de tunnels en tôle, sous la piste et je ressens alors un profond désarroi. J’ai l’impression de ne plus être que l’ombre de moi-même. Cela fait maintenant près de 3 heures et demi que je cours et je suis complètement désorienté, à moitié déshydraté et terriblement fatigué. Mes jambes sont dures comme du bois et les crampes commencent à nouveau à pointer le bout de leur nez. Le spectacle de l’hippodrome, désert, silencieux comme doit l’être la mort, me fiche le bourdon et je commence à me haïr de m’être traîné dans cette aventure. Je me répète en boucle que je vais finir cette foutue course et  mettre mes runnings au vide ordure en arrivant. Je suis à nouveau contraint de m’arrêter pour tirer mes crampes. Encore deux minutes de perdues, sans compter les secondes qui s’égrainent, kilomètre après kilomètre depuis maintenant un moment. Je découvre des douleurs à des endroits dont j’ignorais même qu’ils pouvaient être douloureux. L’intérieur des côtes et mes hanches notamment me hurlent d’arrêter.

HippodromeJe suis au fond du trou, il reste 10 kilomètres à courir et je ne vois pas comment je pourrais courir encore 10 km dans cet état. Sur la route c’est l’hécatombe. Tout le monde marche, on se croirait en exode et le sable noir de la piste ajoute à la désolation. Le ciel s’est assombri et mes espoirs de finir correctement ce marathon se sont envolés. Je pense alors très fort à Murakami, qui m’a accompagné pendant toute la course et à son récit épique des 100 km du lac Saroma à Hokkaido. Je décide de m’approprier ce récit et à mon tour, d’ordonner à mes jambes de m’obéir, qu’elles le veuillent ou non et je me remets à courir. À trotter d’abords puis à courir ensuite. Mes jambes continuent à vouloir résister mais je n’ai pas le choix, il faut continuer, coute que coute. J’aperçois enfin la sortie de l’hippodrome et les photographes qui nous y attendent. Nous venons de courir près de 3 kilomètres sans croiser âme qui vive. Nous devons faire peine à voir car les photographes nous encouragent (jamais vu ça sur une course) et au moment ou je rentre à nouveau dans le bois de Vincennes, un déclic se produit. Un peu comme un retour à la vie et je sais, à ce moment là que je vais pouvoir boucler ce marathon.

J’ai complètement perdu le fil de mes temps de passage. Je sais que j’ai perdu au moins 2 minutes de plus sur le 32e kilo mais que j’ai réussi péniblement à maintenir 9 km / heure dans l’hippodrome. Je calcule tant bien que mal et arrive à la conclusion que je peux encore viser les 4h30.

ArrivéeMurakami avait raison, au bout d’un moment les jambes finissent par capituler, elles se font une raison, c’est la tête qui commande et dans ma tête il y a une phrase et une seule : « Pain is inevitable, Suffering is optional » Alors je cours.

Arrivé au 35e kilo néanmoins, nouvelle déconvenue. Il n’y a pas de ravito. Je m’y raccrochais comme à une bouée. Heureusement, il y a une fontaine et comme il y a déjà eu des problèmes d’eau aux deux précédents ravitos, je m’arrête pour boire mais me pencher est un supplice. L’eau est fraiche, c’est un délice mais il faut repartir. Le ravito est là, un bon kilomètre plus loin. Je mange un bout de banane et des pruneaux et je repars comme je peux. Il reste 7 kilomètres mais mon cœur s’emballe et je commence à être soucieux car je me sais déshydraté.

Alors, tant pis pour les puristes, je décide d’opter pour une alternance marche et course ; 6 minutes de course, 1 minute de marche et je me surprends à être capable de recourir, courir, encore et toujours. Je vois une fontaine mais j’hésite à y aller car le ravito du 40e doit être tout près. Je passe la ligne rouge du 40e en marchant et il n’y a pas de ravito. Je suis à l’agonie, mais j’ai déjà connu ça, notamment sur la fin du TVC. Alors je me dis que si j’ai pu en courir 40, je pourrais bien en courir 42 et je me mets sur pilote automatique. Je ne regarde plus le chrono. Ma vue se trouble un peu, je regarde droit devant moi, je mets un pied devant l’autre et je me répète que c’est dans la tête que ça se passe. Puis le 41e arrive enfin et le 42e arrive à son tour. L’arche d’arrivée est en vue à la sortie du bois et le brouhaha de l’arrivée commence à raisonner, le public forme une haie, c’est grisant et ça me redonne juste assez de jus pour rouvrir les yeux. Je vois mon père d’abord, ma fille ensuite puis j’entends le bip libérateur et je croise les regards émus du reste de mon comité d’accueil. Philippe est là aussi, frais comme un gardon. Il a bouclé son 3e marathon en 4h22, moi en 4h35.

Voila, c’est fini. Longtemps pendant la course, pour me motiver, j’ai pensé au moment où je passerai la ligne les bras levés mais je n’ai même pas eu la force de lever les bras et surtout, je ne voyais rien qui le justifie. Par contre j’ai gardé la médaille autour du cou tout l’après midi.

C'est fini

Une heure après l’arrivée, je suis affalé sur un banc, incapable de marcher jusqu’à la voiture au milieu de ce qui ressemble moins à un parking qu’à un champ de bataille après une défaite. Des éclopés soutenus par des proches clopinent vers leurs voitures ou s’effondrent dans l’herbe. Il faudra deux bonnes heures de plus pour que je reprenne forme humaine et il faudra sans doute plus que ça pour que je retrouve l’envie de courir.

Encore que. Je viens juste de confirmer ma participation à Marseille-Cassis 2012 qui se court le même jour que le marathon de Vincennes. Un bon moyen de m’assurer que je ne serai pas tenté de me réinscrire à ce foutu marathon l’année prochaine.

C’est d’autant plus prudent qu’avec les grands masochistes, on ne peut jamais savoir.