Une fausse course pour la bonne cause
Ce fut un bien beau dimanche. Un peu trop beau même, avec un je ne sais quoi d’un peu inquiétant dans ce soudain redoux qui contrastait de façon ostentatoire avec le temps exécrable dont Mère Nature nous avait abreuvé toute la semaine. On avait commencé à sortir les pulls, rallumé les radiateurs et soudain, sans prévenir, abruptement, il se mit à faire chaud comme en plein été. Cet inexplicable phénomène météorologique n’a d’ailleurs duré que trois petites heures, juste le temps de signer une nouvelle contre-performance mémorable. Le lendemain il plut et tout rentra dans l’ordre.
Mais trêve de circonvolutions sur le temps qu’il fait pour se recentrer sur ce temps après lequel on court car il ne s’agit finalement que de ça. Je participe à l’Odysséa, une course caritative particulièrement bien organisée et dont l’ensemble des recettes vont à la lutte contre le cancer. Je délaisse donc pour la première fois le 10 km de Paris Centre qui se court le même jour et qui m’avait laissé un souvenir plus que mitigé lors de sa dernière édition. Je suis engagé aux côtés de 11 autres coureurs dans l’équipe du siège de la Croix-Rouge française qui participe au challenge entreprise. Me voilà donc moi aussi affublé de mon t-shirt rose, prêt à en découdre avec ce 10 km boisé à l’ambiance particulièrement conviviale. Je suis sur la ligne de départ au milieu de 5500 autres coureurs et coureuses avec mes doutes, mes objectifs, mes craintes. Pour beaucoup de coureurs, il semble évident que c’est la première fois qu’ils s’alignent sur une course et le stress est perceptible sur de nombreux visages. Moi-même je me surprends à fantasmer sur une course irréelle, où touché par la grâce je filerais vers la ligne d’arrivée en 45 minutes. Amateurs de récits épiques, passez votre chemin, il n’y aura pas de miracle. Mes récits de 10 km se suivent et se ressemblent mais encore une fois, mes chances de battre mon record sur la distance sont anorexiques.
Depuis que j’ai commencé à courir, il y a maintenant un peu plus de trois ans, j’ai toujours mis un point d’honneur à compenser mon absence naturelle de talent et de prédispositions par une préparation rigoureuse. Loin de mener une vie d’ascète, je m’astreins néanmoins à une discipline assez stricte à l’approche des courses importantes et j’évite de faire n’importe quoi avant une course, même pour une course au saucisson. Généralement donc. Mais pas là. Et comme il se doit, ça s’est payé comptant.
La veille j’avais des potes à la maison qui sont partis un peu tard. Une nuit bien trop courte à donc suivi un repas trop copieux qui clôturait une semaine de boulot accablante, le tout accompagné d’une crève épouvantable et, pour l’anecdote, de multiples écorchures sanguinolentes un peu partout sur les jambes après m’être pris les pieds dans les chaînes du parking du château de Vincennes pendant mon échauffement (la face ayant été sauvée, à tous les sens du terme, par une superbe réception chute avant + roulade). C’est donc le tibia en sang, les jambes lourdes et avec un gros mal de crâne que j’aborde cette sympathique course populaire.
C’est parti, je me retrouve quasiment immédiatement pris dans un embouteillage au milieu d’une majorité de coureuses assez lentes que je m’interdis de bousculer et ronge donc mon frein pendant 3 ou 400 mètres jusqu’à ce que je décide de rejoindre la contre-allée où plusieurs centaines de coureurs pressés se sont engouffrés. Au même moment, l’un des membres de notre équipe Croix-Rouge me passe devant à tout berzingue et je décide de me mettre dans son pas. Grave erreur. Je ne m’aperçois pas tout de suite qu’il impose un rythme qui est trop au dessus du mien (il finira en moins de 48’) et je me grille très rapidement. Je suis tellement fatigué que je ne m’aperçois même pas que le parcours grimpe légèrement et je continue à vouloir le suivre à tout prix. Je tiens quand même pas loin de 3 kilomètres avant de me rendre compte que je suis en train de suffoquer et je suis obligé de me mettre au pas. Je suis sur le point d’abandonner quand je me souviens que d’une part je participe à une course caritative et que d’autre part je cours en équipe. Un membre de mon équipe surpris de me voir dans cet état là me lance un « alors Micka ? » tonitruant et me revoilà sur mes gambettes. Je retrouve un peu de souffle et me recale à 12 km/h jusqu’au ravito du 5e kilomètre. Je suis au 36e dessous et je suis contraint de prendre le temps de me réhydrater car je suis à deux doigts du malaise. Sans compter le thermomètre qui semble ne plus vouloir s’arrêter de grimper. On a du prendre facilement 15°C en 24 heures, hier c’était le mois de novembre, aujourd’hui, en plein soleil, c’est juste intenable. J’ai déjà perdu énormément de temps et je passe le 6e kilomètre en près de 32 minutes. Lamentable.
Je cours le 7e kilomètre à allure footing et perd encore 30 secondes de plus. Il reste 3 kilomètres. C’est vraiment la merde aujourd’hui, qu’est-ce que je serais bien sous la couette… « Tu reprends de la tarte ? », « non, non surtout pas, j’ai une course demain. Oh puis après tout, ce n’est pas une part de tarte qui… » Ben si ! Justement, elle pèse lourd la part de tarte.
La suite est sans surprise, pris d’un sursaut d’orgueil machiste, je trouve enfin un peu de gasoil quelque part au fond de mes chaussettes et j’arrive à boucler le 8e kilomètre à un rythme acceptable puis me maudis d’avoir choisi ce sport débile pendant tout le 9e qui est un immense faux plat terreux dont on ne voit plus le bout. Enfin, comme d’hab, je m’offre un dernier kilomètre décent qui me permet de grappiller presqu’une minute et de sauver l’honneur en terminant en moins de 52 minutes à seulement 1 minute de mon record sur la distance. Je rejoins les autres membres de l’équipe dont certains sont arrivés depuis un moment et nous attendons les derniers dont certain(e)s se sont visiblement couché encore plus tard que moi et ont profité du beau temps pour visiter le bois de Vincennes 😉
Après une sieste salutaire, je découvre avec surprise les résultats de la course dont le niveau moyen était le plus bas de toutes les courses auxquelles j’ai participé. Avec un milieu de course à 58’, mon temps très passable me permet de me positionner dans le premier quart du classement au scratch (1252e sur 5468 coureurs classés) et même au-dessus du milieu de course dans ma catégorie (sénior hommes), ce qui est certes tout à fait exceptionnel mais surtout pas du tout représentatif de mon niveau. À défaut de rester dans les annales de l’athlétisme internationale, cette course aura au moins eu des vertus pédagogiques, je sais désormais ce qu’il ne faut jamais faire avant une course et je me le tiens pour dit.
Prochaine expérience et à n’en point douter prochain record personnel dans un peu plus de 6 semaines avec le semi-marathon de Boulogne. On y croit !