30km de l’Éco-Trail de Paris®

Abandonner, mais finir quand même

tetiere

LogoJ’ai commencé la course à pied en 2007. Au bout de quelques mois, l’envie de me fixer des objectifs concrets est apparue et j’ai commencé à m’intéresser à toutes ces courses, dont je ne soupçonnais même pas l’existence. J’ai découvert que certaines étaient des « classiques », que d’autres étaient « mythiques » ou qu’il fallait les avoir faites au moins une fois dans sa vie de coureur. Nous vivons dans une société de superlatifs et le microcosme de la course hors-stade n’échappe pas à la règle.

À cette époque, je m’en souviens encore, une course créait l’événement et déchainait les passions sur les forums spécialisés : l’Éco-Trail de Paris Ile de France ou comment organiser une course nature de près de 80 km dans une région que tout le monde se représente comme totalement urbanisée et dénuée d’espaces verts. Je regardais cela de loin avec une moue dubitative. Comment donc pouvait-on courir 80km ? Ou même vingt, alors que je peinais à en courir plus de huit et que mon objectif de finir un premier 10km me semblait quasi-insurmontable. Cette course, encensée pour son organisation irréprochable, représentait un monde qui m’était interdit car il me semblait inconcevable que  je sois un jour capable de courir un trail de 80km. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même si, soyons honnête, ça n’est pas pour demain non plus.

En 2010, une distance plus courte apparaissait, le 50km. Une paille. Avec ses mille et quelques mètres de dénivelé positif, l’effort correspondait à l’équivalent d’un marathon et demi. Inenvisageable. Dommage d’ailleurs, car l’Éco-Trail est l’une des rares épreuves que mon boulot prend en charge et courir des courses de rêve pour pas un rond, à deux pas de chez soi, c’est quand même vachement sympa.

Le 30km, première !

Cette année, pour la 5e édition, les trailers de Paris ont décidé d’ajouter un nouveau parcours de 30km. Whooo, la bonne nouvelle ! Une distance enfin accessible. Où qu’c’est qu’on signe ? Je renvoie ma demande d’inscription aussi vite que je le peux mais pas assez vite et je reçois un mail du CE m’indiquant qu’il n’y a plus de place sur le 30km mais qu’il en reste sur le 50km. Hum ! 50km donc.

Pourquoi pas ? Parce que j’ai vécu l’enfer sur le marathon de Vincennes et que je m’y suis juré que plus jamais ? Parce que ça tombe 3 semaines après mon retour d’Asie, que je rentre chaque année en vrac et que je ne serai sans doute même pas capable de boucler un semi à cette période de l’année ? Comme on ne se refait pas, me voila inscrit sur le 50. Le temps de commencer à angoisser et à prendre conscience de la folie que ça représente et me voila finalement inscrit sur le 30, l’organisateur ayant redonné quelques places au CE, permettant de me faire basculer sur le format court. Ouf ! C’est sans doute à cause de cela que je n’ai pas mesuré la difficulté de ce qui m’attendait. J’étais tellement content de ne pas avoir à bricoler un plan d’entrainement pour le 50km, que je n’ai  pas du tout pris la mesure de l’événement. Et je me suis, comme il se doit, complètement ramassé.

J-21 : retour en mode [loque]

Après un voyage en Asie en demi-teinte et globalement exténuant, me voila de retour à Paris à un peu moins de trois semaines de l’événement et je suis tellement fatigué que j’en arrive à me demander si je ne me serais pas ramené une ch’tite maladie tropicale comme souvenir. Je passe donc cette première semaine à errer comme une âme en peine, trainant mon hypocondrie du canapé au lit et du lit au canapé pendant 6 jours. Le dimanche, je trouve enfin le courage de rechausser les runnings et je pars faire un (tout) petit footing de 40 minutes que je finis (très) péniblement. C’est mal barré mon histoire. Il s’agit quand même d’une course de près de 4 heures et là c’est… comment dire… mal barré.

J-7 : faites ce que je dis, faites pas ce que je fais !

Après une seconde semaine d’entrainement quasi normale, conclue par une sortie en cotes aux Buttes Chaumont d’un peu plus d’une heure 20, il ne me reste plus qu’une semaine pour tenter de limiter la casse. En théorie, je sais parfaitement comment procéder. En pratique, j’ai fait tout le contraire.

Le lundi, je zappe mon footing de récupération. Les jours qui suivent, au lieu de m’astreindre à une hygiène de vie saine et équilibrée, je m’entête à vouloir finir les restes d’une soirée fromage pantagruélique et à me coucher à des heures indues. Le jeudi, je sèche à nouveau la séance de course à pied. Je m’apprête donc à courir un trail de 31 km avec plus de 600 mètres de dénivelé positif avec moins de 35km dans les jambes au cours des 5 dernières semaines. Relax.

Si j’aurais voulu la faire sérieusement, j’aurais dû :

J’aurais dû m’entrainer. Certes. Mais pas que. J’aurais dû préparer mes affaires à l’avance. Cela m’aurait notamment évité de me rendre compte à minuit, la veille de la course, que j’avais oublié de brosser mes pompes de trail après ma dernière sortie boueuse et de constater en les essayant que la boue séchée avait formé une belle croute qui les avait rigidifiées et déformées. J’aurais dû repérer à l’avance le chemin pour aller à Meudon pour ne pas découvrir seulement la veille que j’aurai besoin de plus d’une heure et demi pour rejoindre le départ.

le chatJ’aurais dû mettre le tuyau de ma poche à eau dans un sac plastique avant de le mettre dans le bac à glaçon de mon vieux frigo pourri. Ça m’aurait évité d’avoir à faire tremper l’embout toute la nuit dans du Micropur et d’avoir un gout de vomi imprégné dans le caoutchouc. J’aurais dû poser mon vendredi quand je me suis rendu compte que la course était le samedi et non le dimanche, histoire de ne pas prendre le départ déjà très fatigué. J’aurais dû penser à préparer mes pieds, ce que je fais toujours pour les courses de plus de 10 bornes et que j’ai complètement oublié de faire sur celle-ci.

J’aurais surtout dû réfléchir avant de proposer à Benj’ d’aller faire 25 bornes de vélo le vendredi soir alors que j’en avais déjà fait 20 pour aller chercher mon dossard pendant la pause déjeuner. Et enfin, j’aurais du renoncer à mon entrainement de vovinam du vendredi soir, ce que j’ai toujours fait ces cinq dernières années alors que là, non, et ce, pour une raison que j’ignore mais qui doit se trouver quelque part dans mon cortex frontal, entre mon subconscient, mon  inconscient et mon moi profond. Bref, j’aurais dû pas y aller car en vrai, mon esprit sportif est ailleurs en ce moment, 110% concentré sur mon seul objectif de l’année : la ceinture noire.

Mais voila, j’étais pris en charge par le boulot et je ne suis pas du genre à planter la place qu’un autre aurait sans doute aimé avoir. Alors j’y suis allé. Avec pour objectif, de rapporter un point pour le challenge entreprise, sachant que le classement importe peu, seul compte le fait d’être finisher, c’est-à-dire de passer la ligne avant la barrière horaire de 4h30.

Les barrières horaires du trail : le cauchemar des poireaux

La première barrière est à 2h45 pour les 20 premiers kilomètres, les plus difficiles car tout le dénivelé (600 m) y est concentré. Ayant bouclé les 21 km du trail de Senlis en 2h10 trois mois plus tôt, ça me semble tout à fait faisable sans forcer. Les 10 kilos suivants étant en descente, j’estime pouvoir les avaler en moins d’une heure, à l’aise. Avec 10 minutes de pause au ravito et 10 minutes de marge, j’estime pouvoir boucler le tout en 3h30. Ou plus s’il le faut car il est hors de question de me mettre dans le rouge car j’ai besoin d’être rapidement remis sur pied pour reprendre l’entrainement de vovinam.

Allez hop, c’est parti, 10h00 le départ est donné, il fait un temps magnifique et l’ambiance est assez bon enfant. Je pars dans le dernier tiers du peloton, décidé à y aller tranquille, sans forcer. Il n’aura pas fallu trois minutes pour que le contrôle de la course m’échappe totalement. Trop fatigué, mal préparé, pas très motivé il faut bien le reconnaître, ma gestion de course sera à la hauteur de la préparation, à savoir : catastrophique !

Parcours

Je me laisse entraîner par un peloton beaucoup trop rapide qui ne marche pas dans les montées. Au lieu de temporiser, je cours les 8 premiers kilomètres à près de 11km/h, y compris dans les faux plats montant. Je ne marche que dans la première grosse montée et, fidèle à mes habitudes, fonce à tout berzingue dans les descentes, slalomant entre les coureurs prudents qui jonchent le chemin. Au 12e kilomètre, je suis déjà cramé. Carbonisé même.  Les premières crampes apparaissent au 14e kilo et je manque de me fracasser le crâne en dévalant la dernière bosse. Une crampe au mollet d’une violence inouïe me foudroie et c’est en clopinant et en plus de 10 minutes que je boucle le 15e kilo, ne pouvant pratiquement plus courir.

Les carottes sont cuites. Je suis à la moitié de la course, fatigué comme si je venais de courir un marathon, les orteils pourris d’ampoules et les mollets tétanisés. Je décide donc d’abandonner. Comme on est au milieu de la forêt, le plus simple est  de rejoindre le ravito. J’alterne donc marche rapide et petit trot pour en finir au plus vite, m’insultant mentalement de m’imposer des trucs pareils. L’arche d’arrivée est enfin en vue et je passe la ligne d’arrivée de cette première grosse partie en 2h27, me promettant de revenir une autre année dans de meilleures dispositions. Incorrigible.

ravitoJe pose mon sac et passe illico en mode [fin de course]. Je mange du chocolat, des gâteaux salés, je bois de l’eau gazeuse et cherche des yeux un organisateur pour rendre mon dossard et en finir.

Je me ravise et décide de me laisser 5 minutes de réflexion. Je m’assois et étire mes jambes. Je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où je suis. Mon sac à dos m’attend à la Tour Eiffel et il fait un temps magnifique. En plus, il me reste encore plus de deux heures pour faire les 10 kilomètres qui me séparent de l’arrivée. En marchant d’un bon pas, je peux peut-être même me payer le luxe d’être quand même finisher. Je décide donc de faire le reste du chemin en marchant. Je reprends donc le départ 10 minutes après avoir passé la ligne intermédiaire.

Au bout de quelques mètres, le chemin se transforme en une belle descente appétissante et je tente un léger trot. Je suis immédiatement paralysé par deux crampes très violentes. La douleur est insupportable, je cherche désespérément un arbre ou un muret mais je suis entre deux monticules et aucun arbre n’est accessible sans monter sur le rebord, ce qui est impossible. Je sens le sol se dérober, deux crampes contradictoires me tenaillent la jambe, quelle que soit la façon dont je pose mon pied, la crampe s’amplifie en haut ou en bas. Je suis à deux doigts de tourner de l’œil quand j’arrive enfin à saisir une branche et me hisser sur le monticule de terre et m’accrocher au tronc. Je parviens à étirer la crampe du mollet et contrôler celle du pied, quand une crampe apparait… aux abdos. Étonnant comme sensation car totalement inédit. À ce moment là j’ai quand même un peu envie de pleurer.

ArrivéeAu bout de quelques minutes passées à essayer de détendre mes muscles et m’étirer, je suis à nouveau en état de marche mais Je renonce définitivement à courir. Je me fait doubler par des centaines et des centaines de coureurs. Je ne pensais d’ailleurs pas qu’il y en avait autant derrière moi. Je marche pendant environ une heure et commence à en avoir un peu plein les bottes. J’arrive sur les quais, enfin, et refait ponctuellement quelques tentatives pour trotter. Je parviens à courir une trentaine de pas avant que les crampes ne se réveillent. Mon GPS en profite pour tomber en rade de batterie car j’avais aussi oublié de le recharger et me voila donc en aveugle, obligé de demander l’heure aux passants pour savoir où j’en suis. Comme je n’ai plus de chrono ni de repères de vitesse, j’opte pour une cadence mécanique : 40 pas en courant, 40 pas en trottant. Ludique. Hé ben figurez-vous qu’avec ça je parviens à reprendre au moins 40 participants qui eux n’arrivaient plus du tout à courir et c’est franchement mort de rire que je passe la ligne d’arrivée après avoir coiffé sur la ligne, à 7 km/h un coureur subclaquant qui trottait à 6,5 km/h et qui n’en est toujours pas revenu.

La suite serait sans intérêt s’il n’y avait cette dernière anecdote assez irracontable. N’ayant même plus la force de marcher, je prends le bus électrique jusqu’au stade où m’attendent mes fringues propres. Je me dirige vers les douches, malheureusement collectives. Je mets 5 bonnes minutes à me déshabiller car le seul mouvement qui ne provoque pas de nouvelles crampes est celui qui consiste à mettre un pied devant l’autre et il ne m’est présentement d’aucune utilité. Toutes les douches étant prises, je vis un grand moment de solitude, nu comme un ver, les mains pudiquement posées devant mon entre-jambes en attendant qu’une place se libère lorsque les crampes recommencent à me tenailler. Quelques instants plus tard je suis enfin sous l’eau brulante et c’est divin. Jusqu’à ce que mon tube de gel douche m’échappe des mains. Me baisser pour le ramasser ? Impossible ! Ne pouvant décemment pas demander à mon voisin de douche de le ramasser pour moi,  J’essaye de le saisir entre mes doigts de pied mais ça ne fonctionne pas. Je me rends compte que le type à côté de moi commence à se demander ce que je suis en train de fabriquer. J’arrête donc de faire l’andouille et je me baisse comme je peux mais ma crampe aux abdominaux repart de plus belle. Je m redresse d’un coup sec, manque de me cogner contre le carrelage et j’essaye de me détendre mais un nouveau mouvement entraine une nouvelle contraction violente du mollet, puis de la cuisse. Je me retrouve alors dans une espèce de position assise tout à fait ridicule, les fesses en arrière sous le regard mi-amusé, mi-incrédule de mes voisins.Pour la seconde fois de la journée, je me surprends à avoir envie de m’assoir par terre et de pleurer mais la situation est tellement ridicule que j’éclate de rire, ce qui finit de me faire passer pour un barjot intégral auprès de mes camarades de douche.

Voila, je finis donc en 4h12, au fin fond du classement (1236e sur 1294) alors que j’étais 818e au pointage de Chaville mais je n’ai pas de regrets et je suis content d’avoir finalement passé la ligne d’arrivée, une fois encore. Et qui plus est sur mes deux pieds, ce qui était loin d’être gagné.

© crédit photo : Frédéric Poirier – Les trailers de Paris – Geluk