Les pieds dans l’eau, la tête en vacances
Ah, la course du Run… Une course géniale qui se court l’été dans la petite station balnéaire de Saint-Vaast-la-Hougue, dans la Manche et qui consiste à emprunter, à marée descendante, le chemin qui se dessine sous la mer et qui permet d’accéder à l’île de Tatihou. 8,25 kilomètres très difficiles car nécessitant de se réadapter continuellement aux différents sols sur lesquels on court : sable mouillé, sable sec, herbes, cailloux, graviers et bien sûr, les fameuses flaques d’eau qui peuvent atteindre jusqu’à 60 cm de profondeur. Le tout dans un décor unique, l’île abritant notamment une tour Vauban, des fortifications, une réserve ornithologique et un jardin de toute beauté. Rien que ça.
J’avais déjà couru les éditions 2009, 2010 et 2011 et je gardais de cette course des souvenirs mélangés. D’un coté une ambiance fabuleuse et un décor somptueux, de l’autre une organisation un peu olé-olé et des chronos fantaisistes, voire pas de chrono du tout sur l’édition 2010. Je n’ai cependant pas hésité une seconde à m’y réinscrire lorsque j’ai constaté que la date de la course était compatible avec mon agenda estival et je me suis mis en demeure de reprendre l’entraînement après une saison sportive assez catastrophique ponctuée par plusieurs chutes à vélo et d’interminables périodes de fatigues chroniques.
Reprise (très) difficile
Quoi de mieux qu’une course pour se remettre dans le bain ? C’est ce que je me suis dit en juin en voyant passer un mail du service des sports de mon boulot annonçant qu’il restait un dossard disponible pour un 10 km le dimanche suivant. N’ayant pas couru depuis près d’un mois, j’aurais raisonnablement dû ne même pas m’attarder sur ce mail mais je réponds que je suis preneur sans même réfléchir et m’aligne quelque jours plus tard sur le 10 km de l’hexagone. J’ai pour tout entraînement un aller-retour la veille, en vélo, entre la maison et l’hippodrome d’Auteuil pour aller chercher mon dossard. La loose. J’y fais un chrono exécrable à plus de 7 minutes de mon meilleur temps sur la distance qui ne mérite même pas d’être commenté mais je retrouve les sensations de la course, le plaisir de doubler, la gestion du stress, l’envie d’aller un peu plus vite et le plaisir libérateur du franchissement de la ligne d’arrivée.
J’y prends conscience également que depuis quelques mois je me suis beaucoup écouté et peu fait confiance. La course termine par un 400 mètres sur piste et en accélérant sur la fin je me rends compte que j’en ai encore sous la semelle et que je me suis beaucoup trop ménagé. Les jours suivants me rappelleront également qu’on ne peut pas impunément faire n’importe quoi avec son corps. Fatigue, crampes, soif insatiable pendant 24 heures, il est plus que temps de reprendre les choses en main. Heureusement que les vacances approchent. Il me reste un mois avant la course du Run, ça ne sera pas assez pour revenir à mon niveau d’il y a 5 ans mais j’ai la ferme intention de ne pas y être ridicule et surtout de boucler la course en prenant du plaisir, ce qui ne m’est plus arrivé depuis fort longtemps.
Retour en terre normande
Lorsque j’arrive à Saint-Vaast ce dimanche matin, j’ai une dizaine de séances d’entrainement dans les jambes sur des terrains assez variés et sans avoir retrouvé ma ligne de jeune homme, j’ai un peu dégonflé et rentre à nouveau dans mes shorts. J’ai bien et beaucoup dormi, et comme un miracle, au milieu d’une semaine de froid et de pluie, il fait un temps magnifique. Toutes les conditions sont remplies pour que la course se passe bien, à un seul bémol près, je me traîne comme une chaudière et n’ai plus couru à une vitesse correcte depuis des lustres.
Le parcours ayant été plusieurs fois modifié, je n’ai pas de repère de chrono mais je sais que j’ai toujours couru cette course à une moyenne de 11 km/h. Aujourd’hui, ça me semble absolument impossible. Je n’ai donc aucune réelle prétention mais je suis quand même un peu stressé car, aujourd’hui, j’ai du public et je n’ai pas envie de les décevoir en arrivant dans les derniers.
C’est parti
Je suis dans le milieu du peloton et alors que j’avais l’intention de ne pas me laisser submerger par l’euphorie du départ, je me retrouve bloqué au milieu du troupeau à une vitesse d’escargot. Ça traine. J’accélère légèrement et me faufile en remontant petit à petit des grappes de coureurs. Arrivé au bout de la plage, j’entends les cris d’encouragement et monte encore le rythme, plus ou moins consciemment. Je regarde ma montre, 12,5 km/h. J’ai le vent en face, le sable est humide, aucune raison que je cours à cette vitesse. Je maintiens néanmoins ce rythme sans réelle difficulté jusqu’au run et entame la remontée vers l’île. Je sens que je pourrais rester sur ce rythme mais je préfère rester prudent et temporiser.
Le verdict est immédiat, je me fais maintenant énormément doubler puis, après avoir perdu des centaines de places, j’arrive dans la partie la plus inondée. J’ai de l’eau jusqu’à mi-cuisses. Certains courent, moi je ne peux pas, je marche en essayant de ne pas trop m’épuiser. Il fait une chaleur dingue et l’eau est la bienvenue. C’est agréable mais fatigant et lorsque je sors enfin des flaques, j’ai du mal à relancer. Je perds encore une bonne trentaine de places et je vois la fin du peloton se rapprocher. L’arrivée sur l’île est toujours aussi éprouvante. Ça glisse, ça colle, ça monte, c’est plein vent et ça semble interminable. J’ai envie de doubler mais je n’y arrive pas. Je parviens tout juste à contenir le petit groupe dans lequel je me trouve mais sur les côtés, de jeunes gars affutés comme des couteaux passent avec une aisance déconcertante.
Nous arrivons enfin sur la tour Vauban et je retrouve avec soulagement la monotrace herbeuse qui permet de temporiser, la file étant toujours ralentie, avançant au rythme du plus lent. Je m’offre le luxe de doubler deux trois trainards et arrive dans les jardins. C’est le passage le plus agréable, ombragé, plat, stabilisé et je sais qu’au bout du dédale nous attend de l’eau fraiche. La plupart des coureurs s’arrêtent pour boire, je saisis un gobelet et reprends vingt cinq places d’un coup en ne m’arrêtant pas. Je vide le gobelet sur ma tête et repars aussi vite que j’en suis capable, c’est-à-dire pas très vite.
Je sors de l’île et emprunte le chemin du retour. Je suis bien, en forme, je sens que je pourrais accélérer mais je n’ose toujours pas. J’ai peur de me cramer, de ne pas pouvoir finir. Je ne suis pas bien entraîné, j’hésite. Je monte finalement le rythme à ce que je crois être mon allure 10 km mais ma montre me ramène à la réalité, je ne vais pas vite, mes sensations sont trompeuses. Le vent de face ne facilite pas le retour. J’ai de l’air dans les poumons mais les jambes sont lourdes alors je temporise encore. Je ne double pas, mais plus personne ne me double et plus personne ne me doublera jusqu’à la fin. Arrivé sur le sable, je bifurque et rattrape un petit groupe de coureurs. Le vent est désormais favorable, c’est le moment d’accélérer. Je sais que je pourrais monter et finir plus vite mais je n’ose toujours pas. Je vois la cale, puis le chemin de gravier et là encore je n’ose pas envoyer, je continue à me traîner au milieu de coureurs qui eux sont à leur grand max et ne représentent plus aucun danger. Au bout d’une centaine de mètres, j’aperçois au loin l’arche d’arrivée et j’ose enfin lâcher les chevaux. Je sprinte et reprends une vingtaine de coureurs et passe la ligne en 49’38 avec la banane.
Je termine à une acceptable 864e place sur 1277 classés. Si je regarde le verre à moitié vide, je constate que j’ai couru à une moyenne de moins de 10 km/h soit 1km/h moins vite qu’en 2011 et que je n’ai pas réussi à me taper dedans.
Si je regarde le verre à moitié plein, je me dis que j’ai géré ma course intelligemment et que je termine finalement exactement à la place qui est la mienne, à la limite du dernier tiers de course et ce, avec le sourire et l’envie de recommencer dès que possible. Contrairement à 2011 où je n’avais pris aucun plaisir.
Alors au final, l’un dans l’autre, je crois que je vais choisir d’être content, rechausser les trails très vite et reprendre le chemin de l’entrainement.
Dès qu’elles auront séché.
© photos : Sophie / Normandie course à pied