Balade grisâtre dans les plaines de l’Aisne
Lorsque après une trop longue pause, nous avons repris les baladavélos en novembre dernier, Tom et moi sommes assez vite tombés d’accord sur le fait qu’il ne faudrait pas attendre à nouveau quatre ans pour remettre ça. Nous avons donc laissé passer l’hiver et décidé de repartir aux beaux-jours. (façon de parler). Nous optons pour le pont du 8 mai, sans faire attention au fait que ça sera le week-end du second tour des élections présidentielles. Nous sommes loin d’imaginer qu’il nous faudra laisser nos chères et tendres faire le sale boulot à notre place en votant à contrecœur, non pas pour le meilleur mais pour le moins pire des deux candidats restés en lice.
Mais laissons là ces considérations républicaines, et parlons des sujets sérieux qui font le sel des récits des baladavélos à savoir, la mécanique pour les nuls, la météo qui est de pire en pire ma bonne dame et les errances vélocipedico-campagnardes.
Coté attelage, je dois bien me rendre à l’évidence : mon biclou ne s’est jamais vraiment remis de notre dernière virée. À un mois du départ il est dans un état lamentable.
Je n’ai toujours pas solutionné mon problème de roue libre et je roule encore avec la roue molle et lourde achetée à l’arrache chez Décathlon pour remplacer celle qui s’était bloquée. Mon pédalier a tellement de jeu qu’a chaque coup de pédale j’ai l’impression qu’il va se détacher et l’ensemble de la transmission est bonne pour la poubelle.
Le corps de roue libre que je dois changer coûte quasiment le prix de la roue complète et je rechigne à l’idée de le commander pour rien. Je me décide finalement à prendre le taureau par les cornes et commande les pièces et les outils nécessaires. Je m’envoie des téraoctets de vidéos de mécanique vélo et passe des soirées entières à chercher les bonnes références et à commander les outils qui me manquent. Je cours d’un point relais à l’autre et me mets à dépiauter méthodiquement la bête.
À j-10, je regarde pendouiller la carcasse de mon biclou sur le pied d’atelier (flambant neuf) avec un certain scepticisme. Chaque jour je prends un jour de retard sur mon plan de charge à cause de broutilles pénibles : une pédale grippée impossible à dévisser, une vis à cheminée pour laquelle il faut une saloperie de clé que je n’ai pas… C’est très frustrant et très exaspérant. J’envisage un temps de tout mettre à la benne et de me mettre au deltaplane ou à la boule lyonnaise mais cela ne dure évidement pas et, finalement, à force de pester et de m’user les nerfs et les yeux sur cette fichue machine, je parviens à tout remonter à peu près correctement, tout regraisser, tout serrer. Un passage chez le bouclard est quand même indispensable la veille du départ pour régler le dérailleur arrière proprement et me voilà prêt.
Tom, quant à lui, avait, pour ceux qui s’en souviennent, déglingué son frein avant lors d’une chute spectaculaire. À J-3, le frein, n’est toujours pas livré et encore moins monté. Normal. Alors, lorsqu’il m’annonce la veille du départ « qu’au pire, il prendra le vélo électrique de sa mère », j’accueille cela avec une certaine philosophie.
Jour 1 : Les Lilas – Crécy-au-Mont, 137 km
Tom avait dit que 80 km par jour c’était bien. J’avais dit que moi, j’avais ma dose vers 100. Alors évidement 137, on a beau retourner le problème dans tous les sens, c’est trop. Et 137 sous la pluie, c’est trop et très franchement, c’est chiant.
Mais bon, pas trop le choix, nous dormons ce soir chez une amie cycliste qui a refusé tout net de déplacer sa maison de campagne pour la rapprocher de Paris. Ça sera donc 120 km minimum, sous réserve de suivre scrupuleusement le parcours, ce qu’on ne fait jamais vraiment.
Nous partons vers 9h15 sous la grisaille. Les 30 premiers kilomètres sur la piste cyclable de l’Ourcq se passent sans encombre. Mon vélo est une fusée. Plus léger, plus réactif et incroyablement silencieux, je n’en reviens pas d’avoir réussi à le remettre d’équerre. Une pluie fine nous enquiquine un peu en fin de matinée mais ça reste supportable. Comme souvent dans ces coins là, nous enquillons les villages morts sans trouver le moindre restaurant et nous nous résignons à pique-niquer. Vers le milieu du repas, la pluie vient tout gâcher. Elle ne cessera plus. Le parcours est bien calé mais quelques hésitations nous font perdre du temps et rajoutent des kilomètres. Il pleut de plus en plus, nous sommes trempés jusqu’aux os et lorsqu’en fin de journée nous finissons par nous paumer à 5 kilomètres de l’arrivée, il faut vraiment se pincer pour garder le sourire. Nous arrivons finalement à bon port en toute fin de journée, complètement rincés, à tous les sens du terme.
La soirée devant la cheminée à regarder cuire les grillades, suivies d’une bonne nuit de sommeil nous remet néanmoins d’aplomb.
Jour 2 : Crécy-au-Mont – Pernant, 103 km
Je me lève avec une motivation intacte et constate avec satisfaction qu’il ne pleut plus et heureusement car mes deux compagnons de route du jour semblent un peu moins enthousiastes à l’idée d’aller rouler sous une météo prévue pour être affreuse. Objectif Laon où nous avons réservé un super resto pour le midi. Nous évacuons l’idée de nous y rendre en voiture et prenons la route au guidon de nos bécanes délestées des sacoches que nous laissons à Crécy. Le ciel est menaçant mais sans plus.
En chemin nous sympathisons avec un autochtone qui nous propose de nous accompagner jusque dans la vielle ville via des petits raccourcis. Nous apprécions tout particulièrement de ne pas avoir le poids des sacoches pour effectuer la montée redoutable vers la cathédrale. Je me souviens avec une pointe de nostalgie d’avoir perdu en route quelques-uns de mes compagnons lorsque j’avais fait cette balade il y a quelques années.
Laon est une ville magnifique, pleine de charme et d’Histoire mais malheureusement désertée. L’enfilade de magasins fermés est une désolation. Le cœur de la ville médiévale est mortifère et nous n’y croisons pratiquement pas âme qui vive. Après un repas correct mais pas inoubliable, à l’exception notoire d’un tiramisu particulièrement réussi, nous remettons le nez dehors pour constater que c’est le déluge.
Nous convenons qu’il serait approprié, vu les conditions, de faire simple, rapide et direct. Nous renonçons donc au détour par la forêt de Saint-Gobain et décidons de faire au plus simple. Encore faut-il réussir à sortir de Laon. Après avoir bien jardiné dans le cœur de la cité, nous finissons par trouver la bonne route (il y a 3 voies d’accès pour entrer ou sortir de la cité médiévale) et filons vers Crécy sous une pluie battante. Je passe la moitié du temps abrité sous ma cape de pluie pour éviter de noyer mon téléphone et repérer les bonnes routes à prendre. Pénible.
Et puis surtout, je ne parviens pas à chasser de mon esprit qu’en ce moment même le sort de la France est entre les mains de mes compatriotes. J’ai beau me rassurer en me disant qu’une catastrophe est peu probable, ça me stresse. J’apprendrai quelques jours plus tard que ce département magnifique dans lequel j’aime tant rouler est le département de France qui a le plus voté Le Pen, la plaçant même nettement en tête. Ca fait un peu froid dans le dos quand même.
Finalement, nous voilà revenus à notre point de départ avec pas loin de 80 km au compteur. Notre hôte insiste pour nous emmener vers notre gite en voiture mais je résiste farouchement ! Une baladavélo, c’est du mollet, du mollet et juste du mollet.
Tom qui n’a pas de religion par rapport à ça est moins catégorique mais la pluie a cessé et il n’y a qu’une petite vingtaine de kilomètres pour nous rendre à Pernant. Je le convaincs donc facilement de ne pas céder à la facilité. Nous attaquons avec la remontée complète qui s’avale comme un rien (enfin, un presque rien disons) et nous offre à son sommet un point de vue de toute beauté. Bien sûr, Tom, fidèle à une vielle tradition initiée dès notre premier Paris-Cherbourg, crève à 5 kilomètres de l’arrivée mais il a le bon gout de choisir la roue avant qui se répare rapidement et comme il ne pleut plus du tout, ce micro incident restera au stade de la simple anecdote.
Nous arrivons au château de Pernant en fin de journée, fatigués mais contents. Vers 8 heures moins 10, je souffle un grand coup et me connecte sur le fil d’actualité de Libé. La connexion 4G est abominable et je ne capte que penché à la fenêtre. Je reste figé dans cette position inconfortable. 19h56. Dans 4 petites minutes, la libération ou le début de l’enfer. Je ne suis pas réellement inquiet, les indicateurs étaient au vert mais quand même. Pas plus de 35%, surtout pas plus. Moins si possible.
À 20h, gros ouf de soulagement ! Non, les Français ne sont pas tous devenus fous. Il reste dans ce pays magnifique un sursaut républicain. Non, le FN et toute la haine qu’il trimbale avec lui ne passera pas en France. Pas cette fois. Je sais déjà que le lendemain, je pédalerai plus sereinement car cette journée à cogiter et à craindre le pire restera sans doute longtemps dans ma mémoire.
Nous dînons dans la foulée à la table des châtelains. Les tables d’hôtes, on aime ou n’aime pas. Des fois c’est top, des fois c’est long. Là ce fut… surréaliste. Quoique non dénué d’un certain charme. Une soirée bizarre, mais passée avec le cœur léger.
Jour 3 : Pernant – Les Lilas, 115 km
Après un bon petit déj, nous prenons la route dans des conditions automnales qui ne sont pas sans rappeler un mauvais mois de novembre. Fin novembre même, avec un froid glacial et humide qui s’insinue partout, une infime bruine qui ne dit pas son nom mais qui trempe les nerfs plus que la peau et ce gris, dégueulasse, déprimant. Bref, un temps de merde ! En théorie, l’étape n’est pas censée faire plus de 100 km. Mon compteur étant toujours HS, j’utilise Strava que j’ai téléchargé la veille et qui m’annonce des durées et des distances tout à fait délirantes. Vraiment pénible.
Bien sûr nous sommes contents d’être sur le vélo, nous sommes contents de croiser des champs de colza à perte de vue et des plaines d’une beauté… picturale, de croiser des chevaux magnifiques dans des prés et surtout très, mais alors vraiment très content qu’il ne pleuve pas. Alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Ben… pas vraiment car en vrai, c’est pas l’extase. La raison ? Eh bien nous crevons de froid. Littéralement.
Vers midi, nous cherchons sans entrain et sans y croire un restaurant ouvert. Même un kebab ferait l’affaire mais bon, un 8 mai, dans les plaines de l’Aisne… Nous sommes déjà bien contents de trouver une boulangerie ouverte et nous pique-niquons dans un coin de forêt plutôt sympa et reprenons la route un peu revigorés et clairement rassasiés.
En début d’après-midi, le thermomètre remonte un peu. Un rayon de soleil fugace nous montre ce qu’aurait pu/du être cette sortie printanière mais, à l’approche de la capitale, tout est redevenu très supportable. Les kilomètres défilent et après avoir souffert un peu sur la D9 à la sortie de Saint-Soupplets et son interminable côte en ligne droite, nous atteignons enfin l’ancien chemin de halage du canal de l’Ourcq. Il nous reste une cinquantaine de kilomètres très faciles, très plats et seul le vent de face, banal sur cette portion du canal vient freiner (un peu) notre progression. Nous faisons un stop à l’incontournable buvette du parc de la Poudrerie avant de repartir pour la dernière ligne droite.
Tom file vers la Villette quand de mon côté, j’attaque la très vilaine remontée vers les Lilas. C’est fini, Strava m’indique 95 kilomètres mais mes mollets sont sceptiques. Une vérification minutieuse s’impose. Après extraction de la trace GPS et après avoir corrigé tous les points fantaisistes et retracé l’intégralité du parcours, le verdict tombe : 115 km tout ronds. Ces 20 km de rabe, inexplicables, m’interrogent sur ma façon de planifier les étapes même si sur un parcours comme celui-là, ce dépassement est totalement indolore.
355 km quand même…
Au final, cette édition qui devait être la plus courte avec des étapes réalistes de 90/100 km sera l’une des plus denses jamais roulée. Avec pas loin de 2600 mètres de dénivelé positif, ça sera également sans doute l’une des plus dures, du moins pour les deux premiers jours. Et pourtant, malgré cela, à peine remis, nous ne pensons déjà qu’à repartir. Comme d’hab. 😀
© Illustrations : Plantu – Jacques Azam – Monsieur Petit
© Photos : Miklc