24 heures du Mans roller 2017 en duo
La bi-densité, vous connaissez ? Non ? Eh bien vous ne savez pas ce que vous perdez !
Mais nous y reviendrons car je souhaitais, en préambule, souligner que je n’écris pas souvent sur les 24 heures du Mans, bien que j’y participe chaque année depuis plus d’une décennie. Lorsque j’en reviens, je suis souvent pris d’une grande paresse au moment d’en faire le récit. Il se passe trop de choses avant , pendant et après ces 24 heures. Trop à dire, trop à raconter. Je n’ai fait qu’un seul récit de cette course hors-norme, celui de 2008 qui avait été publié sur le site Roller en ligne. Ce fut un honneur soit dit en passant. C’était la première édition de la formule duo. Depuis, j’ai re participé 6 fois aux 24 heures du Mans roller, en duo, en équipe restreinte, en équipe de 10. Faire un duo aujourd’hui n’est plus une aventure hors-norme. Pas encore une routine, mais clairement pas l’aventure d’une vie. Pourtant, celle-là, j’ai quand même eu envie de vous la raconter.
Mika, parle nous de la bi-densité !
La bi-densité, disais-je, c’est un concept de gomme pour les roues de rollers qui fait que, ta roue, elle est dure dehors et molle dedans. Ouais ! Et donc elle roule vite quand t’es tout droit et elle accroche quand tu tournes. Cette roue, que pour t’en payer 8 faut vendre un de tes reins sur leboncoin, elle te transforme une brouette en Porsche Cayenne !
Et Matter, vous connaissez ? Matter c’est la marque ! Zeu marque. Quand tu roules en Matter, les mecs, ils te regardent plus pareil. Mais bon, moi, depuis que je fais du roller, je m’dis que tout ça c’est quand même un peu des grosses conneries et je me suis toujours contenté des roues d’origine de mes rollers. Grave erreur.
Cette année, j’ai la pression. Mon partenaire de duo s’entraine nuits et jours, s’offre un podium au marathon roller du circuit Carole, avale les kilomètres à des cadences folles. Et moi, pendant ce temps-là… je fais du vélo. À j-30, il est trop tard pour m’acheter des cuisses, mais il est encore temps de m’acheter des roues. Alors, ça sera des Matter bi-densité. Des Mi3 force 2 pour ceux qui aiment la précision. Je les monte sur mes rollers, et déjà dans ma cuisine, je sens bien que mes chéries ne me regardent plus tout à fait de la même façon.
Je pars donc pour le Mans, comme souvent, épuisé par des semaines harassantes et pas du tout entraîné mais, cette année, j’ai mes bi-densité toutes neuves. Il ne peut donc rien m’arriver. Sauf la pluie. J’ai oublié de le préciser mais il semblerait que ces roues soient des savonnettes sur sol mouillé. C’est parait-il leur seul défaut.
Samedi 1er juillet
Nous arrivons au Mans sous un ciel plus que menaçant. Après la traditionnelle rando, qui se passe toujours bien, Vincent nous fait une séance de qualif sans forcer qui nous place en 98e position. Cette année, c’est moi qui prend le départ. Mes rollers ont un système d’attache rapide et chaussent facilement. J’ai l’habitude de chausser debout, ce qui est un gros avantage. Je dispose mes rollers sur la pelouse et me place de l’autre côté de la piste. Zéro stress, les départs en chaussette, j’ai déjà fait.
C’est parti, je sprint jusqu’à mes rollers, les enfile en moins de 10 secondes et m’élance à toute vitesse pour impressionner mon staff. Ça y est, je roule en Matter ! Et heureusement qu’il ne pleut pas car je n’ai même pas trouvé deux heures, à Paris pour les tester et rapper le vernis. Je fais un premier tour trop rapide en dessous des 10 minutes. Je suis essoufflé du début à la fin et je décide donc de calmer un peu le jeu car il m’en reste 5 à faire avant de passer le relais.
Les tours défilent gentiment, je suis assez régulier. J’ai du mal à me rendre compte si c’est le nouveau revêtement, le vent favorable ou les roues de foumalade que j’ai aux pieds mais ça déroule. C’est très agréable et je peux maintenir une cadence décente sans forcer.
Mais voila, ça ne pouvait pas durer. C’était trop beau, trop simple, trop bi-densité. Le troisième tour se fait sous quelques gouttes, le quatrième sous la grosse pluie. Les souvenirs de l’édition apocalyptique de 2014 me reviennent. Mais finalement, c’est pas si pire. Le revêtement du Mans est magique, le sol ne se trempe pas. Il reste un peu glissant mais je trouve quand même un peu d’accroche, juste assez pour ne pas partir dans le décor à la sortie de la descente. D’autre auront moins de chance. Cette année, c’est l’hécatombe. Ça se gamelle tous les 5 mètres.
Je passe le relais au bout d’une heure. Vincent part comme une fusée décidé à en découdre. Nous alternons ainsi pendant tout l’après-midi, Vincent faisant systématiquement un tour de plus que moi pour équilibrer puisqu’il tourne actuellement en 9 min et moi en 11. Cette année, nous avons réduit le nombre de tours par série. Ça avait été trop dur il y a deux ans. Juste avant la nuit, je ne fais plus que des séries de 3 voire 2 tours.
Vincent roule vite, très vite. Il gagne un tour sur le prévisionnel et finit sa rotation avec plus de 8 minutes d’avance. J’en loupe le relais et il part pour un 7e tour avec une bonne humeur très relative. La soirée passe ainsi. On tourne, on se pose, on tourne, on se repose.
Alone in the dark
Vers 00h30, nous passons en mode nuit. J’appréhende ce moment depuis des semaines. 3 heures non stop. Qui viennent s’ajouter aux presque 90 kilomètres déjà roulés, mais aussi aux nuits trop courtes de ces dernières semaines et à toute la fatigue accumulée. J’apprends que nous sommes 5e dans notre catégorie, à seulement 2 tours du 4e. Vincent a le niveau pour les reprendre, pas moi. Je dois donc juste limiter les pertes. Sur notre dernier duo, la session nocturne avait été compliquée. j’avais tourné 12 tours et fait 3 pauses courtes. Cette année, je m’en suis prévu 13 avec seulement 2 micro coupures.
Au bout d’une heure, je fais une première pause de moins de 3 minutes. Pour performer, il ne faut pas faire de pause du tout mais j’en suis incapable. Je repars pour une heure. Les trois premiers tours ne se passent pas trop mal mais au moment de remonter la côté pour la 30e fois, je suis pris d’une fringale de tous les diables. Ça ne m’était jamais arrivé. J’avais entendu parler de ces moment terribles que traversaient certains cyclistes mais je ne connaissais pas la sensation. C’est juste horrible. Impossible de mettre un patin devant l’autre. Les deux platines se heurtent et je manque de tomber. J’ai des sueurs froides et la seule chose dont j’ai envie, la tout de suite, c’est de m’assoir par terre et de manger une raclette. J’essaye de retrouver mes esprits mais j’ai tellement faim…
En bon blaireau que je suis je n’ai ni gel, ni sucre sur moi. Je m’impose de repartir. J’ai repéré au tour précédent une barre de céréales perdue par un patineur. Je me dis que si je parviens à la ramasser et à la manger ça ira mieux. Je commence à grimper puis c’est seulement en arrivant en haut que je me rends compte que c’est vraiment n’importe quoi et que la seule solution, en dehors de l’ambulance, est de finir le tour. J’le finis. À l’arrache. 17 minutes le tour quoi…
Arrivé au stand je suis au bord de la rupture. J’attrape la boite remplie de quartiers d’oranges. Toute la boite y passe. Les filles me remontent le moral. Le sucre fait son effet, je vois le chrono tourner et après 6 minutes de coupure, je repars finalement. J’ai beau avoir enfilé mon coupe vent, je suis frigorifié. Je ne ne parviens pas à me réchauffer alors que la température n’est pas descendu en dessous de 12°C. J’enchaine 3 tours difficiles sans parvenir à prendre le moindre train. D’ailleurs il n’y a personne sur le circuit. Cette année, le Mans, c’est le désert de Gobi. 240 équipes seulement. plus une trentaine de duos et une centaine de solos. La belle époque des 600 équipes est clairement révolue.
La pêche ne revient, timidement qu’au quatrième tour. Malgré, tout, j’ai fait mes 13 tours mais j’ai perdu 9 minutes. 9 minutes, c’est un tour. Sans ce passage à vide, nous nous rapprochions des quatrièmes. Pour le dernier tour, j’ai un petit sursaut d’orgueil. La nuit est passée, je vais enfin pouvoir dormir, je peux donc mettre un petit coup d’accélérateur. Je pousse un peu dans la montée, envoie dans la descente et gagne très logiquement 2 minutes au tour. Ça surprend d’ailleurs tout le monde et quand j’arrive au relais, Vincent n’est pas là. D’après mes propres règles, je suis censé repartir pour un tour mais j’en ai à peu près autant envie que de me pendre. Le staff m’indique qu’il est en chemin, je décide de remonter à sa rencontre. Je tombe sur lui quelques mètres plus loin et lui dit de foncer.
Il me prends au mot. Ce que ce garçon a fait pendant les 3 heures où je dormais est inhumain. Il enchaine 10 tours à moins de 10 min puis se fait surprendre par la pluie. Il ne change pas de roues pour ne pas perdre de temps et enchaine pourtant 10 tours de plus, sur sol glissant, en moins de 11 minutes, sans faire la moindre pause. Chapeau ! Chuis sûr qu’il a des bi-densité lui aussi.
Au petit matin
Lorsque je me réveille, il flotte et le sol est trempé. Petithomme me change en catastrophe mes roues et me remets mes roues d’origine qui accrochent mieux (trop même) pendant que j’avale un café à toute vitesse. Je pars pour 4 tours médiocres qui me permettent de mesurer la différence entre les roues de base et les Matter. Féroce. La pluie a cessé et à laissé place à notre second pire ennemi : le vent. Il sèche (un peu) la piste mais rend la longue ligne droite interminable. D’autant qu’il n’y a personne pour se protéger du vent.
Lorsque Vincent prend le relais, j’apprends que depuis la nuit et sa série de folie, nous sommes repassés 4e, à 4 tours des 3e. À 4 tours du podium. Hein ? le podium ? le truc blanc pour les balèzes ? Oh ? C’est le paradoxe. Je viens de me trainer comme une chaudière et je pense au podium. Je m’y vois même. Même pas peur. Mais bon, le classement semble figé, ça sera dur de reprendre 4 tours. Vincent roule à 105% de ses capacités. Ce n’est pas lui qui a la clé. Je dois rouler beaucoup, mais alors vraiment beaucoup plus vite. Je me suis prévu des tours en 13 min 30. Je dois rouler en 10/11 grand max. Il me reste une vingtaine de tours à faire, en reprenant 3 minutes au tour, on peut rêver.
Je n’y parviens pas. Le sol est humide, le vent violent, le circuit vide. Je ne parviens qu’à prendre les trains de solos. Je m’y économise, mais je ne reprends qu’une minute ou deux par séries. Les staffeuses de choc me hurlent mon chrono et des mots gentils à chaque passage, 8WD, dans la zone des solos m’encourage à chaque tour. Ça me réchauffe le cœur et rend tout supportable mais ça ne suffit pas à me faire rouler plus vite. Vincent reste rapide sur ses séries. Moi je limite malgré tout la casse et grappille quelques minutes. Les troisièmes sont HS, ils ne peuvent plus accélérer, les 5e sont loin derrière. Je dois retrouver la patate, sinon le classement restera ce qu’il est.
Vers midi, je retrouve du jus et surtout beaucoup d’envie. Je décide de pousser dans tous les tours. Ça passe ou ça casse. Les montées restent difficiles mais je parviens à maintenir le rythme. Vincent et moi tournons désormais quasiment à la même vitesse mais Vincent, qui a déjà presque 20 tours de plus dans les jambes, doit faire un tour de plus que moi à chaque relais. Balèze.
J’enchaine deux bonnes séries. En 6 tours, j’ai regagné presque 7 minutes. Nous ne sommes plus qu’à 3 tours des 3e mais nous allons manquer de temps pour les reprendre.
Vincent prend le dernier relais à 15h30 pour trois derniers tours. Il parvient à passer la ligne avant les 24 heures et reprend donc un dernier tour au 3e mais malgré tout, nous échouons au pied du podium, à seulement deux petits tours. Tout s’est joué pendant la nuit. je suis surtout déçu pour Vincent, il aurait mérité ce podium. Nous finissons à la pire des places, la quatrième mais en vrai, tout cela étant dit, je suis quand même ultra content.
Nous avons explosé notre objectif qui était d’être dans le top 10, nous avons fait 7 tours de plus qu’en 2015 et je suis très satisfait de ma deuxième partie de course. Je finis en bon état, sans crampes, sans douleurs excessives et avec la réelle et profonde envie de remettre ça le plus tôt possible.
Vincent ? 2018 pour les 80 tours ? Avec les 60 que j’ai l’intention de faire, ça nous en ferait 140. Ça se tente non ?
© photos : Sophie, Gaëlle, Josette, Eric LF et Christine Dumouchel