Bain de boue dans la vallée de Chevreuse

7e trail de la vallée de Chevreuse, parcours « découverte »

Dimanche matin, y’avait course. Enfin course, faut le dire vite. C’était un trail en fait, une épreuve nature où des coureurs qui marchent côtoient des marcheurs qui courent. Pour ma part ça n’a été ni vraiment de la rando, ni franchement de la course, mais quoi que ça ait été, le moins qu’on puisse dire c’est que ça m’a pris longtemps. 3h27 quand même pour venir à bout de ce parcours du combattant et à l’heure qu’il est je ne saurais dire si je suis content d’y avoir survécu ou écœuré d’avoir mis autant de temps.

Dimanche matin donc, lever à 5h45 comme une fleur, avec juste cette question à laquelle je refuse de répondre : faut-y pas être un peu taré pour se lever à une heure pareille un dimanche matin pour aller se les geler dans la boue ? C’était bien la peine de prendre 10 mois de rabe en faisant objecteur de conscience, si c’est pour s’imposer quinze ans plus tard, des loisirs à l’arrière gout de stage commando mais passons, me voila vers 8h du mat, aligné devant le centre omnisports du Perray-en-Yvelines, prêt à en découdre avec ce trail « découverte » de 20 km. 20 km qu’y disaient.

Comme il se doit sur ce type de course, je n’ai pas la moindre prétention chronométrique. Tout juste ai-je estimé qu’ayant bouclé les 16,5 km de l’Ice trail en 2 heures et considérant les 4 kilomètres et 400 mètres de dénivelé positif supplémentaires, j’en ai pour un peu moins de 3 heures. Je sais donc que j’entre dans un autre monde, celui des courses de plus de 2 heures et pourtant, même pas peur ! J’ai la couverture de survie, du ravitaillement pour 3 heures et l’envie de terminer parce que quand même, les trailleurs, les vrais, sont partis une heure avant pour 55 kilomètres et que ça n’est pas 20 malheureuses bornes qui vont venir à bout de mon inépuisable réserve d’énergie intérieure.

Départ

C’est donc parti. Départ tranquille, à travers la très photogénique zone industrielle du Perray avant de longer quelques pavillons cossus et de rentrer dans le parc régional de la vallée de Chevreuse. Ces quelques kilomètres de plat nous servent d’échauffement puis arrive la première montée et avec elle l’heure de la séparation, Laurent partant devant pour en découdre.

S’en suivent 2 heures et demi de boue, de vase, de ronces, de montées et de descentes. La première heure passe comme un charme. Je suis finalement assez en forme malgré les kilos repris ces derniers mois et ma préparation plus qu’insuffisante (seulement 5 petites séances en trois semaines après la coupure de 15 jours pendant lesquels j’étais en Asie à faire tout sauf de la course à pied). Je bois à petites gorgées régulières, je marche énergiquement dans les montées, je cours dès que les montées faiblissent, bref je casse la baraque. Certes le terrain est impraticable, certes j’ai de la boue jusqu’aux yeux, certes mes pieds sont trempés et l’eau glaciale mais j’avance sans me soucier du reste.

Et là c’est le drame. Je regarde mon GPS qui m’indique que j’ai parcouru… 6 kilomètres. Juste 6 tout-petits kilomètres. Je ne suis donc pas proche de la mi-parcours comme je le pensais mais à peine au quart (parce qu’en fait il fait pas du tout 20 km ce 20 km). Du coup je suis partagé entre l’envie de m’économiser et d’accélérer, mais de toute façon dans ce bourbier c’est plutôt le terrain qui décide. Le temps passe et le parcours devient un peu plus roulant, moins de boue mais toujours ces descentes qu’il faudrait descendre en courant mais dans lesquelles je n’ose pas lâcher les chevaux et ces montées épuisantes où je maudis à chaque pas les quintaux de nems et de sushis ingurgités sans retenue pendant mes vacances. C’est marrant remarquez bien, mais ça reste assez loin de l’idée qu’on se fait de la course à pied. Ah si, toutes les 10 minutes environ il y a 100 mètres d’à peu près plats propices à une allure proche d’un footing lent du dimanche matin. Sinon, ça ressemble surtout à de la marche forcée. Ça peut paraître délirant mais en passant sous une espèce de pont dans le lit d’un ruisseau, je me mets à penser aux jeunes bidasses qu’on envoie à la guerre marcher dans la jungle des jours entiers avec un fusil à la main et toute notion de plaisir et de souffrance devient abstraite. Puis une pierre glissante qui manque de m’arracher la cheville me rappelle qu’un peu de lucidité sur ce type de chemins peut aider à ne pas finir au fond du ravin et me voilà reconcentré sur ma « course ».

Balisage

Vers le 15e kilo, petite sueur froide. Nous nous retrouvons devant 3 chemins possibles. Après avoir un peu jardiné, une coureuse nous remet sur le droit chemin. D’après mon GPS, nous n’aurons fait que 500 mètres de rabe mais du coup j’ai perdu mon groupe repère et je me retrouve avec un autre groupe encore plus lent. Déjà que j’allais pas vite, là ça devient vraiment pathétique. Je décide de partir chasser mon groupe mais au moment d’accélérer pour doubler un coureur, une crampe au mollet foudroie toute velléité de recommencer. Ça fait presque deux heures et demi que je suis parti et je commence à être un peu inquiet sur mes chances de finir cette course en courant. Sans compter cette histoire de barrière horaire à 3h30 qui devient mon nouvel objectif.

À 17 km je commence à être en rade d’eau. Je m’alimente rapidement puis un kilomètre plus tard je débouche sur le chemin que nous avions emprunté au début avant de commencer à grimper. Petit calcul rapide, là, c’est sûr, le parcours fait beaucoup plus de 20 kilomètres. J’estime qu’il en reste encore au moins 4 soit pas loin d’une demi-heure de course, bien plus si je me remets à marcher. Je suis loin d’être épuisé mais comme souvent en fin d’épreuve, je gamberge. Je me demande à quoi tout cela rime. Je marche. Et puis un coureur surgit derrière moi et avec un sourire me prend par le bras avec chaleur et me lance : « allez, faut finir en courant ». Je repense à Murakami et à son récit de la fin de son 100 km et ça me redonne du courage car entre les crampes et la soif, cette petite ballade dominicale est en train de prendre une tournure franchement pénible.
Je me mets en mode « avance quoi qu’il se passe » et me mets à trotter à 9km/h pour ne plus jamais m’arrêter jusqu’au passage sous l’arche d’arrivée que je franchirai au bout de 3h26 dans l’indifférence générale. Je retrouve Laurent un peu plus tard déjà douché, changé,  qui est arrivé depuis un peu plus de trois quart d’heure et qui finit 108e en 2h38. Pour quelqu’un dont la préparation pour son premier trail s’est bornée à un footing d’une heure et quart une semaine avant et qui n’avait jusqu’alors jamais couru plus de 50 minutes, ça laisse rêveur.

Quant à moi, je termine comme il se doit dans les limbes du classement, 329e sur 364 mais dans une fourchette finalement assez conforme à mon niveau. Lent donc, mais finalement content. Comme d’hab.

© photos « le bagnard »