Une virée forestière désespérément plate
Ce matin, comme à peu près tous les dimanches matin depuis deux mois, je me suis aligné au départ d’une course. Encore. La dernière de l’année, pas la meilleure, pas la pire. Sur la course elle-même, il n’y a pas grand chose à raconter car il ne s’y est pas passé grand chose. Mais j’ai surtout repensé à la question que l’un d’entre-vous (je parle du groupe très restreint de mes fidèles lecteurs) m’a posée à la suite de mon billet sur la Mirabal. Il se demandait en substance après quoi je courais.
Et c’est vrai que cette longue succession de courses (6 en 8 semaines) et la façon dont tout cela s’est mis en place peut surprendre et poser question. Tout ou rien, jamais de demi-mesure, l’histoire de ma vie.
Aussi, et puisque j’en suis à évoquer les vicissitudes de l’existence d’un coureur de fond, permettez moi d’ouvrir une large parenthèse consacrée à la fin d’une envie et à son réveil.
Nous sommes en mars 2012 et je viens de courir la course de trop. Quelque part entre Chaville et le champ de Mars, toute envie de courir s’est envolée. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en lisant le compte rendu plutôt rigolo que j’en avais fait à l’époque, je garde de cette course le souvenir d’un grand gâchis et une certaine amertume.
Je ne sais pas expliquer pourquoi. J’ai souffert sur cette course, c’est indéniable mais pas autant que sur mon marathon couru quatre mois plus tôt. Et pourtant, après cette expérience dont je garde également un assez mauvais souvenir, j’ai repris très vite l’entraînement, sans état d’âme. Mais sur l’écotrail, ce fut différent. Un vrai chemin de croix. J’ai longtemps marché, sans montre, sans repère, sans énergie, comptant mes pas et me répétant en boucle que j’étais vraiment un abruti de m’imposer des trucs pareils. Et pourtant, il ne s’agissait que d’un petit trail court très accessible pour un coureur de mon niveau. Bref, au cours de cette course, quelque chose s’est brisé.
Après cela, j’ai continué à courir un peu, mais sans constance et sans entrain. J’ai remisé mon cardio-fréquencemètre et j’ai surtout renoncé à me battre pour conserver un poids acceptable et par corollaire, améliorer mes chronos. En dehors d’une agréable semaine de rando-course dans les Vosges l’hiver dernier, je n’ai rien fait de bien folichon avec mes pieds pendant presque un an et demi. Plusieurs fois l’envie est revenue mais sans la conviction nécessaire pour recommencer à m’entraîner sérieusement. J’ai bien participé à quelques courses sans enjeu ou uniquement pour le plaisir de courir avec des potes mais avec des chronos tellement atterrants qu’il vaut mieux en rire.
Jusqu’à ce matin d’octobre où, comme chaque année, je me suis aligné sans conviction au départ des 20 km de Paris auxquels je participe, plus par habitude que par passion, et où, contre toute attente, la flamme s’est rallumée.
Ce matin là, parce qu’il faisait beau, parce qu’il faisait frais, parce que j’avais bien dormi la veille, j’ai senti que c’était revenu. En battant mon record de plusieurs minutes sans trop savoir comment, j’ai eu à nouveau envie de courir mieux, plus et plus vite. C’est le propre des records, il ne servent qu’à cela, à être battus. Même si je comprends aisément que cette vision manichéenne et chrétienne du dépassement de soi puisse faire sourire, je me suis construit comme ça. En me mesurant à moi même. Je suis profondément attaché à cette vision métaphorique du sport : se fixer un objectif, en chier pour l’atteindre, réussir ou échouer, recommencer autant de fois qu’il faut, y arriver, se fixer un nouvel objectif.
Très vite, dans la foulée, il n’aura suffit que d’un seul trail court, mais un trail de folie, quinze jours plus tard, couru sans préparation et par un pur hasard pour que le feu soit totalement ravivé. À peine redescendu de mes falaises, je ne pensais déjà plus qu’à faire péter le plan d’entrainement. À moi les séances de fractionné, les soupes aux asperges et les carottes rappées !
Aimant de plus en plus le trail et de moins en moins le bitume, je me mets en quête d’une course un peu technique qui ne soit ni trop courte, ni trop longue afin de me servir de test avant la pause hivernale. Le trail des étangs tombe donc merveilleusement bien. 15 km, ma distance favorite, à peine plus long que le trail des falaises mais avec un peu moins de dénivelé. Du moins sur le papier.
5 semaines se sont écoulées. J’ai perdu 5 kilos, enchaîné les séances difficiles en côte et les sorties en endurance. 5 jours avant la course je pète la forme, affuté comme jamais, des envies de courses plein la tête. Seule ombre au tableau, une très vilaine périostite tibiale apparue depuis quelques jours et qui m’oblige à lever le pied au sens propre et au sens figuré et me fait craindre une course bien plus compliquée que prévue.
Je me lève sans problème malgré l’heure horriblement matinale. Prévoyant, j’ai préparé tout mon barda la veille, ce qui ne m’empêche pas de partir très à la bourre et d’arriver à l’arrache à seulement un quart d’heure avant le départ.
Fidèle à mon habitude, je pars dans les derniers (grave erreur), laisse tout ce petit monde partir à tout berzingue et avale un premier kilomètre étonnamment plat à allure tranquille pour chauffer la machine et m’assurer que mon tibia ne me fait pas trop souffrir. Les anti-inflammatoires semblent faire leur effet et même si ça tirote un peu, ça ne semble pas insurmontable. Au bout d’une dizaine de minutes, arrêt complet. Un gros amas de coureurs est entassé au pied d’une butte de 5 mètres de haut qui sera la plus grosse difficulté de ce trail qui n’a de trail que le nom et qui avec ces 26 mètres de dénivelés positifs cumulés ne risque pas de rester dans les anales du trail-running.
100 mètres plus loin, nous sommes à nouveau stoppés. Le chrono tourne, et je suis là, planté dans l’herbe, à ne rien pouvoir faire d’autre que de ronger mon frein. Déjà plus de 4 minutes que ça dure et enfin le chemin se libère. Je continue à courir en me demandant à quel moment nous allons enfin sortir de la base, rentrer dans le bois des Lieux que j’ai repéré sur la carte et rentrer dans le vif du sujet. Comme nous continuons à tourner en rond le long des étangs, sur un parcours toujours désespérément plat, je décide, à regret, d’augmenter un peu mon allure. Je sais que si le parcours ne se complique pas un peu, vu ma vitesse de croisière, je risque de finir dans les derniers. Encore.
J’enrage, je me suis entraîné à grimper pendant un mois, m’imposant une séance en côte par semaine et me voila obligé de courir encore plus vite sur des chemins boueux et à peine techniques. Rageant.
À force de forcer, je parviens enfin à rejoindre un petit groupe un peu plus rapide mais je ne parviens pas à les coller et même si je double assez régulièrement des grappes de coureurs, d’autres qui sont sans doute partis d’encore plus loin ou encore plus lentement, me passent avec une facilité désolante. Je parviens à contrôler mes poursuivants mais je suis surtout contraint de courir encore un demi-kilomètre heure plus vite pour éviter de sombrer au classement. Au 8e kilomètre nous nous séparons de la course courte qui en a quasiment terminé et je suis sidéré de tomber sur un ravito. Le règlement de la course précisait bien qu’il y aurait un ravitaillement à la fin et j’ai donc prévu de quoi manger à mi course mais la présence de ce ravito explique pourquoi la plupart des coureurs courent sans réserve d’eau. Je prends une date et une fraise Tagada puis repars en augmentant encore légèrement mon allure car après avoir fait toute la première partie de la course à allure plan-plan pour en avoir sous le pied pour affronter les fameuses difficultés techniques annoncées, je dois bien me rendre à l’évidence, il n’y aura rien d’autre que ce parcours tristounet et sans relief.
Pour ne rien arranger, je ne double plus personne. Les grappes de coureurs que j’avais repris étaient en fait en train de finir le 9 km et je suis désormais seul au monde avec seulement deux poursuivants que je ne suis pas du tout décidé à laisser passer. Il n’y a même plus vraiment de forêt, nous courrons désormais dans l’herbe dans d’interminables lignes droites définitivement plates. J’ai désormais hâte d’en finir et je pars donc en chasse des coureurs qui me précédent. J’en rattrape un, puis deux, puis un petit groupe de quatre dont un seul décide de s’échapper. Nous jouons au chat et à la souris pendant deux kilomètres et reprenons encore trois ou quatre coureurs. Je n’ai pas la moindre idée de mon classement mais j’espère avoir réussi à reprendre une bonne cinquantaine de coureurs depuis le départ. Une place de gagnée étant une place de gagnée, je force même pour passer sur les côtés dans les monotraces et parviens à en reprendre encore deux ou trois. Sans même que je m’en rende compte, j’arrive à moins de 200 mètres de l’arrivée et accélère encore pour reprendre un dernier coureur et passe la ligne en 1h24 alors que j’avais tablé sur 1h45, prévoyant deux ou trois cent mètres de dénivelé.
Je ne suis ni content, ni mécontent. Je passe la ligne d’arrivée à peine plus fatigué qu’après un footing de récupération, ce qui est de bonne augure pour les prochaines courses plus longues mais ma jambe, à laquelle je n’ai pas du tout pensé pendant la course se met à me lancer terriblement et c’est en claudiquant que je rejoins ma voiture, avec l’impression d’avoir fait une course sans saveur. Mon chrono ne me donne aucune indication puisque je ne peux le comparer à rien de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. La saison se termine donc comme elle a commencé : bizarrement.
Officiellement, je suis crédité de 1h23’08s alors que mon chrono indique 1h24’40s et je suis classé après le type à qui j’ai mis plus de 100 mètres dans la vue avant la ligne d’arrivée au sprint final et qui est crédité du même temps que moi. Je finis 156e sur 220, un classement médiocre qui ramené sous forme de pourcentage s’avère finalement être (et de loin) mon meilleur classement en trail toutes compétitions confondues, ce qui, c’est le cas de le dire, me fait une belle jambe.
Tout cela étant dit, et c’est ici que je refermerai la longue parenthèse ouverte plus haut, une fois ma tendinite réparée, il sera temps de reprendre le chemin de l’entrainement parce que figurez-vous que l’éco-trail de Paris, et ben… j’m’y suis réinscrit !
Oui, je sais…
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