De retour sur la Barjo

Du D+, de la pluie, du vent, la vie quoi !

La Barjo, c’est le nom du trail du Nord Cotentin qui se court sur mon terrain de jeu favori, le GR233, un GR côtier également appelé sentier des douaniers qui suit les côtes de la Manche de Honfleur au Mont Saint-Michel.

L’édition 2021 ayant été reportée de juin à septembre 2021, je m’aligne, 9 mois après, jour pour jour, sur la version 25 km du trail cotentinois avec trois changements notables depuis le cru 2021. D’une part, il fait et fera jour jusqu’au bout. Nous sommes à quelques jours du solstice, ce qui veut dire que même en trainant, la nuit ne se couchera qu’une bonne demi-heure après mon arrivée. En septembre, la nuit était tombée à peu près au moment où j’avais attaqué la partie en bord de mer et ça avait été un peu rock’n’roll.

La seconde différence, et elle est de taille, c’est que la météo annonce un temps pourri avec averses, orages et tutti quanti. Partout ailleurs en France, c’est la canicule. 95 % de la population française suffoque mais nous, on caille. Je dis-nous car, et c’est la troisième différence, cette fois j’ai retrouvé Vincent avec qui j’avais déjà eu l’occasion de fouler ce fameux GR il y a quelques années.

je me suis pas mal entrainé et j’étrenne un nouveau sac de course. Sur mes deux dernières courses, j’ai pas mal galéré avec mon sac à dos qui après une bonne quinzaine d’années de bons et loyaux services, commence à montrer des signes évident de fatigue. Je me suis donc décidé à investir dans un modèle moderne, pratique, bien conçu et particulièrement ergonomique et vu comment s’est déroulée la seconde partie de la course, je peux d’ores et déjà vous dire que ça n’était ni un caprice, ni du luxe.

C’est parti

Nous sommes un peu plus nombreux qu’en septembre et un peu plus mal placés. Alors que la dernière fois j’avais réussi à m’extirper très vite du gros du peloton, nous sommes bloqués dans le paquet et nous trottinons plus que nous ne courrons. Ça me contrarie un peu car j’aurais bien aimé arriver vite à la fameuse montée des fougères avant que ça soit totalement embouteillé. J’ai l’air détaché et optimiste mais en réalité, j’appréhende un petit peu la suite car même si je me suis bien préparé pour affronter cette course, elle est tout de même assez difficile (1000 mètres de dénivelé positif pour seulement 25 km) et ma saison a été globalement catastrophique avec mon abandon au marathon de Paris, mes deux forfaits sur les trails franciliens qui ont suivi et une contre-performance contrariante sur l’écotrail.

Je ne sais jamais trop comment me comporter quand je prends le départ d’une course avec un pote. Généralement, vu mon niveau, ils me plantent au bout d’un kilomètre mais cette fois, c’est moi qui ai les jambes des bons jours. Nous papotons un peu pendant les premiers kilomètres mais nous sommes séparés dans la montée des fougères et lorsque je me retourne, Vincent n’est plus là. Il est déjà à une bonne centaine de mètres. Il me fait signe mais je ne sais pas trop s’il me dit « vas-y fonce » ou « coucou-j’suis là ». J’hésite, culpabilise pendant au moins 3 secondes puis décide de filer sans me retourner.

Alone in the trail

Comme la dernière fois, je prends un pied monstre, les paysages sont de toute beauté, il fait un temps parfait, limite frais alors que tout le monde redoutait la canicule et je pète la forme. J’arrive à courir à bon rythme sur les parties plates et à relancer après les montées. Je ne me fais jamais doubler mais nous avons été bloqués plusieurs fois au départ sur des passages en entonnoir et ceux qui sont partis avant ont déjà filé.

Je pousse un peu pour arriver vite à Jobourg, pressé d’arriver sur le GR le plus tôt possible pour éviter la pénombre. Je passe assez vite le ravito et m’engage sur le sentier. J’avais beaucoup d’espoir, pensant que le fait qu’il fasse jour ferait une grande différence mais en fait non. C’est aussi casse-gueule, aussi dangereux que de nuit. J’ai même l’impression d’être plus prudent que de nuit alors que je connais bien le chemin que j’emprunte chaque fois que je le peux quand je suis dans la région. Les kilomètres défilent mais le ciel devient menaçant et les premiers éclairs zèbrent le ciel au-dessus de la mer. C’est à la fois très beau et un peu flippant, surtout que le tonnerre commence à gronder et qu’il fait tellement sombre qu’on pourrait croire que la nuit est en train de tomber. Je sens une énorme goutte s’écraser sur moi. Une grosse goutte bien lourde que j’identifie immédiatement comme les prémisses d’un déluge imminent et lorsque moins d’une minute plus tard l’orage éclate, j’ai juste le temps de saisir ma veste étanche d’un geste précis que j’avais répété deux ou trois fois la veille et grâce à la magie de ce nouveau sac, en moins de 10 secondes la veste est enfilée, fermée, capuche vissée.

Il tombe des seaux d’eau et je vois mes camarades d’infortune pris un peu au dépourvu, trempés jusqu’aux os alors que moi je traverse l’épisode plutôt bien et après avoir avalé les deux séries d’escaliers auxquels je m’étais bien préparé à Paris en incluant de grosses séances de montées de marches, je me retrouve enfin face à la dernière et redoutable difficulté de ce parcours, la côte des pierres. Une côte bitumée de 830 mètres à 12%. J’y suis et c’est juste l’apocalypse. Le temps s’est totalement déchainé, des bourrasques de vent nous laissent sur place et la pluie a redoublé. Pour autant, alors qu’en septembre, dans des conditions parfaites, j’avais eu l’impression de crever sur pied, aujourd’hui ça passe nickel. Je ne cours pas évidement, mais je marche vite et remonte une bonne dizaine de coureurs dont plusieurs semblent littéralement frigorifiés. C’est désolant mais que faire à part avancer en serrant les dents ?

Je l’avale et relance. Le parcours est légèrement modifié. Une des difficultés qui aurait du être là, un détour idiot et inutile, a été supprimé (tant mieux) et il ne reste donc plus que le passage boueux avant l’énième relance et la dernière montée jusqu’à l’aire d’arrivée. Je passe la partie boueuse en râlant et arrive sur le bitume ou je me fais doubler par 5 fusées. Piqué au vif, je décide d’empêcher les 5 suivants de me reprendre et accélère autant que je peux en serrant à nouveau les dents. La pluie cesse enfin, je retire ma veste pour libérer mon dossard et la puce et trouve même assez de jus pour sprinter.

Je finis la course avec le sourire, améliorant mon chrono de 7 minutes malgré le froid et la pluie et je suis super content. Je reste sur la ligne pour attendre Vincent qui ne doit pas être bien loin derrière. Au bout de quelques minutes je me rends compte qu’il m’a envoyé plusieurs SMS pour m’informer qu’il a été contraint d’abandonner suite à une entorse et qu’il n’est plus sur la course. Mince, ça gâche un peu le plaisir, forcément. Je dévalise le ravito, m’emmitoufle dans une couverture de survie car la température est tombée à 11 degrés et me dirige vers le parking du super U, frigorifié, trempé, grelotant mais content.

Le lendemain je découvre avec une pointe de déception que bien qu’ayant couru mieux et plus vite, je suis plus mal classé qu’en septembre et toujours un peu loin du milieu de course, 366e/597. Bon. Mais en vrai, comme d’une part j’ai fait du mieux que je pouvais et que d’autre part ça n’a pas la moindre importance, je ne garde que la joie ressentie en passant la ligne d’arrivée et la beauté de ce parcours hors du commun que j’aime tant.

© photos : Normandie course à pied et Casartprod (que j’en profite pour remercier)